Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 28, 1850.djvu/16

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homme en prévint la nièce du diacre, qui fit préparer pour le vieux matelot ces aliments délicats qui réveillent même l’appétit d’un malade. Quant à son oncle, on ne lui en dit rien d’abord, quoique son intimité avec Dagget parût augmenter de jour en jour.

Grande fut la surprise de chacun lorsqu’on apprit que M. Pratt avait acheté et lancé le nouveau vaisseau. Tandis que tout le voisinage s’épuisait en conjectures sur le motif qui avait pu déterminer le diacre à devenir armateur à son âge, Marie en attribuait la cause à quelque influence secrète et puissante que l’étranger malade exerçait sur lui. Il passait maintenant la moitié de son temps en conférences avec Dagget, et plus d’une fois quand sa nièce allait porter quelques aliments à ce dernier, elle le trouva avec M. Pratt étudiant une ou deux vieilles cartes de mer. Dès qu’elle entrait, on changeait de conversation, et jamais il n’était permis à mistriss White d’assister à ces conférences secrètes.

Non-seulement le diacre acheta le schooner et le fit lancer à la mer, mais il en donna le commandement au jeune Gardiner. Celui-ci était né, il y avait vingt-six ans, à Oyster-Pond, d’une des meilleures familles du pays, dont l’établissement dans l’île remontait à l’année 1639. Cette famille était devenue très-nombreuse et s’était divisée en une multitude de branches ; mais dans un pays nouveau, le nom de Gardiner était un honneur, pour tous ceux qui le portaient, et quoique Roswell Gar’ner ne fût pas riche, il devait à son nom seul une véritable considération, lui orphelin sans père ni mère, comme était Marie. Sorti à l’âge de quinze ans d’une école de province, il s’était embarqué, et il était devenu second d’un vaisseau baleinier. On pense quel fut son bonheur quand M. Pratt l’engagea comme capitaine du nouveau schooner, qu’on appelait déjà le Lion de mer.

Marie Pratt avait suivi tout le développement de cette affaire, tantôt avec peine, tantôt avec plaisir, toujours avec intérêt. Elle éprouvait un vif chagrin à voir cet amour de l’argent, dont son oncle était possédé, éclater dans les dernières années d’une vie dont le terme ne pouvait être éloigné. Le plaisir que Marie Pratt, notre héroïne, ne pouvait s’empêcher de ressentir, n’était pas