Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 3, 1839.djvu/156

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temps le gosier de l’autre avec une sorte de mouvement machinal et convulsif. Il tressaillit de surprise en voyant quelqu’un entrer dans sa chambre ; mais l’arrivée du capitaine Borroughcliffe ne produisit d’autre changement dans ses occupations que de donner plus d’exercice à son mouchoir, et de l’engager à se serrer la gorge plus fréquemment, comme s’il eût voulu s’assurer par expérience quel degré de pression le cou pouvait supporter sans trop d’inconvénient.

— Bonjour, camarade ! dit Borroughcliffe en s’avançant d’un pas chancelant vers son prisonnier, et en s’asseyant sans cérémonie à côté de lui ; bonjour, camarade ! est-ce que le royaume est en danger, pour que les gens comme il faut traversent notre île en portant l’uniforme du régiment d’incognitus, incogniti, incognitorum ? Diable ! comme mon latin est rouillé ! Dites-moi mon gaillard, n’êtes-vous pas un de ces torum ?

Manuel respirait péniblement, ce qui n’était pas très-étonnant d’après la manière dont il venait de se serrer la gorge ; mais il surmonta ses craintes, et répondit avec plus de vivacité que sa situation ne le permettait, et que l’occasion ne l’exigeait.

— Dites-moi ce que vous voudrez, traitez-moi comme il vous plaira, mais je défie qui que ce soit de prouver que je sois un tory.

— Vous n’êtes pas torum ? En ce cas le bureau de la guerre a inventé un nouvel uniforme, ou vous avez gagné le vôtre en prenant quelque batterie flottante ; ou peut-être vous avez servi comme soldat de marine. Ai-je deviné ?

— Je ne le nierai pas, j’ai servi deux ans à bord d’un navire, quoique j’aie été pris dans la ligne, dans le…

— Dans l’armée de terre, dit Borroughcliffe interrompant fort à propos l’aveu imprudent que Manuel allait faire de sa véritable situation ; je m’en doutais. Et moi aussi, j’ai été une fois de service à bord de la flotte de lord Howe, mais c’est ce que je n’envie à personne. Quand il y avait parade dans l’après-midi, nous trouvions le plancher diablement glissant ; car vous savez que c’est une époque de la journée où un homme a besoin d’un terrain solide pour se tenir ferme sur ses jambes. Quoi qu’il en soit, j’achetai ma compagnie avec l’argent qui me revint pour ma part des prises, ce qui fait que je me rappelle toujours le service de la marine avec reconnaissance. Mais c’est causer trop à sec. J’ai dans une de mes poches une bouteille d’excellent madère, et deux