Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 3, 1839.djvu/159

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

avec un vieux pandour. Je suis pourtant surpris que ton orthodoxie s’effarouche d’une si légère attaque. Il faut que la citadelle soit bien faible, quand on en défend les ouvrages avancés avec une opiniâtreté si peu nécessaire.

— Je ne sais pas pourquoi vous m’avez rendu cette visite capitaine Borroughcliffe, dit Manuel, plus discret et cherchant à reconnaître les vues de son compagnon de bouteille avant de s’ouvrir davantage, s’il est vrai que vous ayez le grade de capitaine, et que vous vous nommiez Borroughcliffe ; mais ce que je sais, c’est que si vous n’avez d’autre but que d’insulter à ma situation actuelle, c’est agir d’une manière indigne d’un militaire, indigne d’un homme ; et en toute autre circonstance cette conduite pourrait être suivie de quelque rixe.

— Oh ! oh ! dit Borroughcliffe avec son sang-froid imperturbable, je vois que vous comptez le vin pour rien, quoique le roi n’en boive pas d’aussi bon, et pour une excellente raison : le soleil d’Angleterre ne peut percer les murs de pierre du château de Windsor aussi aisément que celui, de la Caroline échauffe les planches de cèdre qui y couvrent un cellier. Mais n’importe, votre fierté me plaît de plus en plus ; ainsi les armes à la main ! Faisons encore une charge sur cette bouteille, après quoi je développerai tout mon plan de campagne.

Manuel examina avec attention la physionomie de son compagnon, mais n’y découvrant d’autre expression qu’une sorte de malice mêlée d’amour-propre, qui semblait sur le point de céder la place à la stupidité de l’ivresse, il se rassura et, en militaire docile, obéit au commandement. Lorsqu’ils eurent vidé leurs verres, Borroughcliffe commença à s’expliquer sans réserve.

— Vous êtes un soldat, et je suis un soldat. Que vous soyez un soldat, c’est ce que mon sergent aurait pu dire, car le drôle a fait une campagne et flairé le salpêtre. Mais il fallait l’œil d’un officier pour découvrir en vous un officier. Un soldat ne porte pas du linge comme le vôtre, et, par parenthèse, votre costume en ce moment est un peu froid pour la saison. Un soldat ne porte pas un col de velours noir attaché avec une boucle d’argent. Les cheveux d’un soldat n’ont jamais une odeur parfumée. En un mot, si vous êtes soldat, vous êtes en même temps officier.

— J’en conviens. J’ai le grade de capitaine, et je désire être traité en conséquence.