Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 3, 1839.djvu/21

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À cet appel inattendu le marin recula de quelques pas, releva son bonnet sur sa tête et se frotta les yeux :

— Qu’entends-je ? que vois-je ? s’écria-t-il ! suis-je bien éveillé ? Oui, voici l’Ariel, voilà la frégate. Est-il possible que ce soit Catherine Plowden ?

Ses doutes, s’il lui en restait encore, furent bientôt dissipés, car l’étranger s’assit sur le bord d’un fossé ; dans son attitude, la modestie d’une femme formait un contraste frappant avec les vêtements du sexe masculin, et Catherine se mit alors à rire de tout son cœur, et sans chercher plus longtemps à se contraindre.

Son devoir, le pilote, l’Ariel même, tout fut oublié en ce moment par le lieutenant. Il ne songea plus qu’à la jeune fille qu’il voyait, et il ne put s’empêcher de rire comme elle, quoiqu’il sût à peine pourquoi.

Lorsque cet accès de gaieté se fut un peu calmé, Catherine se tourna vers Barnstable qui s’était assis à côté d’elle, et qui dans sa joie ne songeait plus à lui faire un reproche de son enjouement.

— Mais à quoi pensé-je de rire ainsi ? dit-elle ; c’est me montrer insensible aux maux des autres. Je dois pourtant vous expliquer avant tout comment il se fait que vous me voyiez paraître si inopinément, et pourquoi j’ai pris ce déguisement extraordinaire.

— Je devine tout, s’écria Barnstable ; vous avez appris que nous étions près de cette côte, et vous êtes venue remplir la promesse que vous m’aviez faite en Amérique. Je ne vous en demande pas davantage ; le chapelain de la frégate…

— Peut prêcher à l’ordinaire, et avec aussi peu de fruit, répondit Catherine ; mais il ne prononcera la bénédiction nuptiale pour moi que lorsque j’aurai atteint le but de mon expédition hasardeuse. Vous n’avez pas coutume d’être égoïste, Barnstable ; voudriez-vous que j’oubliasse le bonheur des autres ?

— De qui parlez-vous donc ?

— De ma cousine, de ma pauvre cousine. Ayant appris qu’on avait vu deux bâtiments ressemblant à la frégate et à l’Ariel ranger la côte depuis plusieurs jours, je résolus sur-le-champ d’avoir quelques communications avec vous. J’ai suivi tous vos mouvements pendant toute une semaine sous ce costume, sans pouvoir réussir dans mon projet. Aujourd’hui j’ai remarqué que vous approchiez davantage de la terre, et ma témérité a été couronnée de succès.