Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 3, 1839.djvu/30

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— Oui, oui, comme vous le dites, pourvu qu’il fasse son devoir de bonne foi. Mais, comme le disait Barnstable, il faut que vous connaissiez bien la route à travers ces écueils, par une nuit comme celle-ci. Savez-vous combien nous tirons d’eau ?

— Ce que tire une frégate. Je tâcherai de vous maintenir sur quatre brasses. Une moindre profondeur serait dangereuse.

— C’est une charmante frégate ! elle suit son gouvernail comme un soldat de marine l’œil de son sergent. Mais il lui faut de la place en avant, car elle ne fend pas l’eau, elle vole ; on dirait qu’elle veut devancer le vent.

L’oreille du pilote n’était pas novice, et il écoutait avec attention l’énumération des qualités du bâtiment qu’il allait essayer de tirer d’une situation très-dangereuse. Il n’en perdit pas un seul mot, et quand Griffith eut cessé de parler, il dit avec le sang-froid singulier qui le caractérisait :

— Il y a du bon et du mauvais dans tout cela ; mais, vu l’étroit canal dans lequel nous allons naviguer, je crains que le mauvais ne l’emporte quand nous aurons besoin de faire marcher le navire à la lisière.

— Je présume que nous devrons avancer la sonde à la main.

— Il nous faudra la sonde et les yeux. Je suis entré dans cette baie, et j’en suis sorti pendant des nuits plus noires, que celle-ci, mais jamais sur aucun navire qui tirât plus de deux brasses et demie.

— En ce cas, vous n’êtes pas en état de manœuvrer notre frégate au milieu des rochers et des brisants. Vos bâtiments, qui ne tirent que peu d’eau, ne savent jamais sur combien de brasses ils se trouvent. Il n’y a qu’une quille profonde qui cherche le canal le plus profond. Pilote ! pilote ! prenez garde que votre ignorance ne joue avec nous ! les jeux de hasard sont dangereux entre ennemis.

— Jeune homme, répondit le pilote non sans quelque aigreur, quoiqu’en conservant son sang-froid imperturbable, vous ne savez ni de quoi vous parlez, ni à qui vous vous adressez. Vous oubliez que vous avez ici un supérieur et que je n’en ai pas.

— Ce sera suivant la fidélité avec laquelle vous vous acquitterez de votre devoir, s’écria Griffith ; car si…

— Paix ! dit le pilote, nous voilà près du vaisseau ; montons à bord en bonne intelligence.