Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 5, 1839.djvu/43

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ronde. De cette manière, l’eau peut être stagnante dans les grands lacs d’eau douce, comme vous et moi nous le savons, puisque nous l’avons vu ; mais quand vous venez à répandre l’eau sur un grand espace comme la mer, où la terre est ronde, comment croire raisonnablement que l’eau puisse rester en repos ? Autant vaudrait vous imaginer qu’elle resterait tranquille derrière les rochers noirs qui sont à un mille de nous, quoique vos propres oreilles vous apprennent en ce moment qu’elle se précipite par-dessus.

Si les raisonnements philosophiques du blanc ne semblaient pas satisfaisants à l’Indien, celui-ci avait trop de dignité pour faire parade de son incrédulité ; il eut l’air de l’écouter en homme qui était convaincu, et il reprit son récit avec le même ton de solennité.

— Nous arrivâmes de l’endroit où le soleil se cache pendant la nuit, en traversant les grandes plaines qui nourrissent les buffles sur les bords de la grande rivière ; nous combattîmes les Alligewis, et la terre fut rougie de leur sang. Depuis les bords de la grande rivière jusqu’aux rivages du grand lac d’eau salée, nous ne rencontrâmes plus personne. Les Maquas nous suivaient à quelque distance. Nous dîmes que le pays nous appartiendrait depuis l’endroit où l’eau ne remonte plus dans ce fleuve jusqu’à une rivière située à vingt journées de distance du côté de l’été. Nous conservâmes en hommes le terrain que nous avions conquis en guerriers. Nous repoussâmes les Maquas au fond des bois avec les ours : ils ne goûtèrent le sel que du bout des lèvres ; ils ne pêchèrent pas dans le grand lac d’eau salée, et nous leur jetâmes les arêtes de nos poissons.

— J’ai entendu raconter tout cela, et je le crois, dit le chasseur, voyant que l’Indien faisait une pause ; mais ce fut longtemps avant que les Anglais arrivassent dans ce pays.

— Un pin croissait alors où vous voyez ce châtaignier. Les premiers Visages-Pâles qui vinrent parmi nous ne parlaient pas anglais ; ils arrivèrent dans un grand canot, quand mes pères eurent enterré le tomahawk[1] au milieu des hommes rouges. Alors, Œil-de-Faucon, — et la voix de l’Indien ne trahit la vive émotion qu’il éprouvait en ce moment qu’en descendant à ce ton bas et guttural qui rendait presque harmonieuse la langue de ce peuple,

  1. Les Indiens enterraient un tomahawk pour exprimer que la guerre était finie.