Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 8, 1839.djvu/35

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voyé dans ces parages pour une mission toute particulière. Si ce n’était pas un véritable jeu de mots, je pourrais ajouter que je ne suis pas juge.

— Point de doute que vous n’arriviez bientôt à ce poste honorable, reprit l’autre, si les ministres de sa majesté savent apprécier dignement le mérite modeste, à moins, il est vrai, qu’il ne vous arrive d’être prématurément…

Le jeune homme se mordit la lèvre, leva la tête très-haut, et se mit à se promener le long du quai, suivi des deux matelots qui l’avaient accompagné, et qui montraient le même sang-froid. L’étranger à la redingote verte suivit de l’œil tous leurs mouvemens avec calme, et même, en apparence, avec un certain plaisir, caressant sa botte avec sa badine, et semblant réfléchir comme quelqu’un qui cherche à renouer la conversation.

— Pendu ! dit-il enfin entre ses dents, comme pour finir la phrase que l’autre avait laissée imparfaite. Il est assez bizarre que ce jeune drôle ose me prédire une pareille élévation, à moi !

Il se préparait évidemment à les suivre, lorsqu’il sentit une main qui se posait assez familièrement sur son bras, et il fut obligé de s’arrêter. C’était celle de notre ami le tailleur.

— J’ai un mot à confier à votre oreille, dit celui-ci en faisant un signe expressif pour indiquer qu’il avait un secret d’importance à communiquer, un seul mot, monsieur, puisque vous êtes au service particulier de sa majesté. — Voisin Pardon, ajouta-t-il en s’adressant au paysan d’un air noble et protecteur, le jour commence à baisser, et je crains que vous n’arriviez bien tard chez vous. La fille vous donnera vos habits, et le Ciel vous conduise ! Ne dites rien de ce que vous avez vu et entendu, que vous n’ayez reçu de mes nouvelles à cet effet ; car il ne serait pas séant que deux hommes qui ont acquis tant d’expérience dans une guerre comme celle-ci manquassent de discrétion. Adieu, mon garçon ; mes amitiés au papa, ce brave fermier, sans oublier l’honnête ménagère qui est votre mère. Au revoir, mon digne ami, au revoir ; portez-vous bien.

Homespun, ayant ainsi congédié son compagnon, attendit, dans une noble attitude, que le campagnard tout ébahi eût quitté le quai avant de tourner de nouveau les yeux sur l’étranger en vert. Celui-ci était resté immobile à la même place, conservant un sang-froid imperturbable, jusqu’au moment où il se vit adresser une seconde fois la parole par le tailleur, dont il semblait avoir