Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 8, 1839.djvu/50

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côté de l’Atlantique. C’était une petite tour circulaire qui s’élevait sur des piliers grossiers réunis par des arcades, et elle avait pu être construite, dans l’enfance du pays, pour servir de place forte, quoiqu’il fût beaucoup plus probable que c’était un édifice d’une nature plus pacifique. Plus d’un demi-siècle après l’époque dont nous parlons, ce petit bâtiment, remarquable par sa forme, par ses ruines et par ses matériaux, est devenu tout à coup l’objet des recherches et des investigations de cet être érudit dont l’espèce s’est tellement multipliée, — l’antiquaire américain. — Il n’est pas surprenant que des débris aussi honorés soient devenus la cause de maintes doctes et chaudes discussions. Tandis que les amateurs chevaleresques des arts et des antiquités du pays ont rompu galamment des lances autour de ces murailles tombant en poussière, les hommes moins instruits et moins zélés ont regardé les combat tans avec cette espèce de surprise qu’ils auraient manifestée, s’ils avaient été présens quand le célèbre chevalier de la Manche s’escrimait contre ces autres moulins à vent si ingénieusement décrits par l’immortel Cervantes.

En approchant, l’étranger en vert donna un léger coup de badine sur sa botte, pour attirer l’attention du jeune marin, qui semblait plongé dans de profondes rêveries, et l’abordant sans plus de façon :

— Cette ruine ne serait pas mal, dit-il d’un ton libre, si elle était couverte de lierre, et qu’elle fût placée au bout d’un bois d’où l’on pût l’apercevoir par une percée ménagée avec art ; mais excusez-moi, les hommes de votre profession ne s’inquiètent guère de tout cela. Que leur font des bois et d’augustes débris ! Voilà la tour, ajouta-t-il en montrant les grands mâts du vaisseau qui était dans le havre extérieur, voilà la tour que vous aimez à contempler, et les seules ruines pour vous, c’est un naufrage !

— Vous paraissez bien au fait de nos goûts, monsieur, répondit froidement le jeune homme.

— C’est donc par instinct, car il est certain que je n’ai eu que bien peu d’occasions de m’instruire par des relations directes avec aucun membre de ce corps, et il ne me paraît pas que je doive être beaucoup plus heureux dans ce moment. Soyons francs, mon ami, et parlons sans aigreur : que voyez-vous dans cet amas de pierres qui puisse détourner si long-temps votre attention de ce noble et beau vaisseau que vous considériez avec tant de soin ?