Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 8, 1839.djvu/59

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ront encore plus long-temps, ce qui est plus que nous ne pouvons dire de notre prison, comme vous appelez ce beau vaisseau à bord duquel nous devons nous embarquer. — Eh ! mais, madame, si mes yeux ne se trompent pas, je vois les mâts se mouvoir lentement et dépasser les cheminées de la ville.

— Vous avez parfaitement raison, Wyllys ; les matelots sont en train de touer le vaisseau pour le mettre à flot, puis ils l’attacheront à ses ancres pour qu’il ne bouge pas jusqu’à ce qu’on soit prêt à déplier les voiles, afin de mettre en mer dans la matinée. C’est une manœuvre qu’on fait souvent, et que l’amiral m’a expliquée si clairement, qu’il me serait assez facile de la commander en personne, si cela convenait à mon sexe et à ma position.

— Alors ce mouvement doit nous rappeler que tous nos apprêts de départ ne sont pas encore terminés. Quelque charmant que soit ce lieu, Gertrude, il faut le quitter à présent, au moins pour quelques mois.

— Oui, ajouta Mrs de Lacey en suivant à pas lents la gouvernante qui prenait déjà les devans ; des flottes entières ont été souvent touées à leurs ancres, pour attendre que le vent et la marée fussent favorables. Aucune personne de notre sexe ne connaît les dangers de l’Océan, nous exceptées, qui avons été unies par le plus étroit de tous les nœuds à des officiers de rang et de mérite ; et nulle autre ne peut jouir délicieusement de la véritable grandeur de cette noble profession. C’est un charmant spectacle qu’un vaisseau fendant les vagues avec sa poupe[1], et s’élançant sur son propre sillage, comme le coursier écumant qui court toujours sur la même ligne, quoiqu’il se précipite de toute sa vitesse.

La réponse de Mrs Wyllys ne parvint pas jusqu’aux oreilles des deux indiscrets cachés dans la tour. Gertrude avait suivi ses compagnes ; mais après avoir fait quelques pas, elle s’arrêta pour jeter un dernier regard sur ses murs délabrés. Un profond silence régna pendant plus d’une minute.

— Cassandre, dit-elle enfin à la jeune négresse qui était auprès d’elle, il y a, dans l’arrangement de ces pierres, quelque chose qui m’aurait fait désirer qu’elles eussent été quelque chose de plus qu’un moulin.

— Y avoir des rats dedans, reprit cette fille avec sa simplicité naïve ; vous avoir entendu ce que bonne Mrs Wyllys dire.

  1. Le mot anglais taffrail signifie littéralement le tableau du couronnement, ou parie supérieure de la poupe. — Éd.