Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 9, 1839.djvu/27

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

disparu, et sur lesquels la charrue laissait déjà les marques du labourage. La plaine, qui s’élevait par une gradation insensible depuis le ruisseau jusqu’à la forêt, était divisée en enclos par des haies nombreuses[1], construites à la manière grossière et solide du pays. Des rangs de pieux, qu’on avait taillés sans consulter l’élégance plus que l’économie, étaient plantés en zig-zag, semblables à la ligne que décrit l’assiégeant dans son approche prudente d’une forteresse ennemie, et entassés les uns sur les autres de manière à opposer des barrières de sept ou huit pieds de hauteur aux invasions des bestiaux malfaisants. Dans une partie de la forêt se trouvait un espace où l’on avait coupé les arbres ; on y voyait, il est vrai, une quantité considérable de troncs qui en noircissaient la surface, ainsi que celle des prairies et même des champs ; mais ce sol riche et vierge ne produisait pas moins une moisson verte et brillante. Sur le côté d’une éminence qui pouvait aspirer au titre de montagne, l’industrie avait empiété de nouveau sur le domaine des forêts ; mais, soit par caprice ou par calcul, on avait abandonné le défrichement, en voyant que la peine d’abattre les arbres n’avait été récompensée que par une seule récolte. Dans ce lieu, des arbres rares ou morts, des monceaux de souches et de branches noires détruisaient la régularité d’un champ dont la beauté eût été frappante par sa position au milieu des bois. Une partie de la surface de ce champ était cachée par de jeunes taillis de ce qu’on appelait la seconde crue, quoique çà et là on vît des places entières couvertes du trèfle blanc du pays, qui s’était élevé aussitôt que les bestiaux avaient cessé de brouter. Les yeux du vieillard se dirigèrent vers ce lieu, qui, si l’on avait pu tracer une ligne dans l’air, était peut-être à un demi-mille de l’endroit où son cheval s’était arrêté. Les yeux de Mark, disons-nous, étaient dirigés de ce côté ; car le son de différentes sonnettes agitait l’air tranquille du soir et parvenait aux oreilles du capitaine à travers les buissons.

On pouvait suivre les indices d’une civilisation encore moins équivoque jusqu’au sommet d’une éminence qui s’élevait si rapidement à l’extrême rive du courant d’eau, qu’elle avait l’apparence d’un ouvrage dû à l’art. Ces monticules existaient-ils sur toute la surface de la terre, et ont-ils disparu devant le travail

  1. Les haies sont presque inconnues en Amérique, mais chaque champ est enclos par une palissade ou muraille. Cette particularité distingue les sites de cette contrée de ceux de l’hémisphère oriental, où les clôtures sont fréquentes, mais non d’un usage général.