Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 9, 1839.djvu/33

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jeune récolte qui commençait à s’élever pour l’année qui devait suivre, et quelquefois dirigeant ses yeux autour de lui comme une personne dont la vigilance égale la sollicitude. On eût dit qu’une de ces nombreuses pauses allait être plus longue que les autres : au lieu d’arrêter ses regards expressifs sur la semence, les yeux du vieillard semblaient fixés par un charme sur quelque objet obscur et éloigné ; le doute, l’incertitude, se peignirent pendant quelques minutes sur son visage ; mais toute hésitation parut s’être évanouie lorsque ses lèvres murmurèrent, peut-être à son insu : — Ce n’est point une illusion, mais je vois une créature vivante et inconnue du Seigneur : bien des jours se sont écoulés depuis qu’un tel objet n’a été vu dans la vallée. Mes yeux me trompent grandement, ou l’étranger se dirige vers ces lieux pour demander l’hospitalité ou peut être une conversation chrétienne et fraternelle.

Les yeux du vieil émigrant ne l’avaient point trompé. Un voyageur, qui semblait accablé par la fatigue, sortait de la forêt et se dirigeait vers un point où un sentier, qui était tracé plutôt par les arbres brûlés[1] qui se trouvaient le long de la route que par aucun sillon sur la terre, aboutissait dans la pièce de terre défrichée. La marche de l’étranger avait d’abord été lente, et annonçait une prudence mystérieuse. La sombre route dont il sortait indiquait aussi qu’il venait de loin et qu’il avait été obligé de voyager vite pour que la nuit ne le surprît pas au milieu des bois, car cette route était celle des établissements éloignés placés près des fertiles rivages du Connecticut. Peu de voyageurs suivaient ces détours, excepté ceux qui étaient conduits par d’importantes affaires, ou pour faire part aux habitants de Wish-ton-Wish[2] (car c’est ainsi que la vallée de la famille Heathcote avait été appelée en commémoration du premier oiseau qui y avait été vu par les émigrants) ; pour leur faire part, disons-nous, de communications extraordinaires, et relatives à leurs opinions religieuses.

  1. On appelle arbre brûlé, blazed, celui qui a eu un morceau d’écorce enlevé par la hache. C’est la manière ordinaire de tracer un sentier dans le désert.
  2. L’auteur suit ici l’onomatopée indienne pour nommer cette espèce d’Engoulevent de la Virginie, que les colons appellent, par une onomatopée anglaise, Whip poor Will ou Weep poor will. Ces deux dernières manières d’orthographier l’onomatopée offrent le sens de Pleure, ou Fouette, pauvre Guillaume. Buffon dit que les sauvages croient reconnaître dans le cri plaintif de cet oiseau l’expression de douleur de leurs ancêtres, chassés par les colons venus d’Angleterre. C’est à tort que le mot Whip poor Will a été traduit par Émerillon.