Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 4.djvu/470

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Que charmé par la sœur, ou forcé par le frère ;
Et dans cette embuscade où son effort fut vain,
630Rodogune, mes fils, le tua par ma main.
Ainsi de cet amour[1] la fatale puissance
Vous coûte votre père, à moi mon innocence ;
Et si ma main pour vous n’avoit tout attenté,
L’effet de cette amour vous auroit tout coûté.
635Ainsi vous me rendrez l’innocence et l’estime[2],
Lorsque vous punirez la cause de mon crime.
De cette même main qui vous a tout sauvé,
Dans son sang odieux je l’aurois bien lavé ;
Mais comme vous aviez votre part aux offenses,
640Je vous ai réservé votre part aux vengeances ;
Et pour ne tenir plus en suspens vos esprits,
Si vous voulez régner, le trône est à ce prix.
Entre deux fils que j’aime avec même tendresse,
Embrasser ma querelle est le seul droit d’aînesse :
645La mort de Rodogune en nommera l’aîné.
Quoi ? vous montrez tous deux un visage étonné !
Redoutez-vous son frère ? Après la paix infâme
Que même en la jurant je détestois dans l’âme,
J’ai fait lever des gens par des ordres secrets,
650Qu’à vous suivre en tous lieux vous trouverez tous prêts ;
Et tandis qu’il fait tête aux princes d’Arménie,
Nous pouvons sans péril briser sa tyrannie.
Qui vous fait donc pâlir à cette juste loi ?
Est-ce pitié pour elle ? est-ce haine pour moi ?
655Voulez-vous l’épouser afin qu’elle me brave,
Et mettre mon destin aux mains de mon esclave ?
Vous ne répondez point ! Allez, enfants ingrats,
Pour qui je crus en vain conserver ces États :

  1. Les éditions de 1682 et de 1692 donnent ici cette amour, et trois vers plus loin cet amour. Toutes les autres ont cet amour aux deux endroits.
  2. Var. Ainsi vous me rendez l’innocence et l’estime. (1647-54 et 56)