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DE L.\ TRAGÉDIE. 8i

des rois, qu'ils voyoient avec plaisir des crimes dans les plus innocents de leur race. Pour rectifier ce sujet à notre mode, il faudroit qu'Oreste n'eût dessein que contre Égisthe ; qu'un reste de tendresse respectueuse pour sa mère lui en fit remettre la punition aux Dieux ; que cette reine s'opiniâtrât à la protection de son adultère, et qu'elle se mît entre son fils et lui si malheureusement qu'elle reçût le coup que ce prince voudroit porter à cet assassin de son père. Ainsi elle mourroit de la main de son fils, comme le veut Aristote, sans que la barbarie d'Oreste nous fît horreur, comme dans Sophocle, ni que son action méritât des Furies vengeresses pour le tour- menter, puisqu'il demeureroit innocent.

Le même Aristote nous autorise à en user de cette manière, lorsqu'il nous apprend que le poêle n'est pas obligé de traiter les choses comme elles se sont passées, mais comme elles ont pu ou dû se passer, selon le vrai- semblable ou le nécessaire \ Il répète souvent ces der- niers mots-, et ne les explique jamais. Je tâcherai d'y suppléer au moins mal qu'il me sera possible, et j'espère qu'on me pardonnera si je m'abuse.

Je dis donc premièrement que cette liberté qu'il nous laisse d'embellir les actions historiques par des inventions vraisemblables n'emporte aucune défense de nous écar- ter du vraisemblable dans le besoin. C'est un privilège qu'il nous donne, et non pas une servitude qu'il nous im- pose : cela est clair par ses paroles mêmes. Si nous pou- vons traiter les choses selon le vraisemblable ou selon le nécessaire, nous pouvons quitter le vraisemblable pour

1. <ï>av£pôv Si £•/. Tôjv sîpTi[JL£vwv xaî OTt où t6 xà ysvoijLSya X^yctv, xouto TîoiTjTOÙ ïpyov èailv, âXk' oia av ys'votTO, xai xà ouvaxà y.axà x6 eI/.o; rj xo âvayxaTov. (Aristote, Poétique, chap. ix, i.)

2. Particulièrement au chapitre xv, où ils sont répétés trois fois de suite.

Corneille, i fi

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