Page:Corneille Théâtre Hémon tome1.djvu/358

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

D'une atteinte imprévue aussi bien que mortelle,
Misérable vengeur d'une juste querelle,
Et malheureux objet d'une injuste rigueur,
Je demeure immobile, et mon âme abattue 291

Cède au coup qui me tue.
Si près de voir mon feu récompensé,

Dieu, l'étrange peine!
En cet affront mon père est l'offensé,
Et l'offenseur, le père de Chimène! 30C

Que je sens de rudes combats!
Contre mon propre honneur mon amour s'intéresse :
Il faut venger un père, et perdre une maîtresse ;

du côté de l'acteur. » Corneille n'est-il pas un peu sévère envers lui-même? Inférieures à celles de Polyeucte, les stances 'du Cid sont très supérieures aux «tances de la \'euve (11, 1; III, 8), de la Galerie (III, 10), de la Suivante (II, 2 ; IV, 1; V, 6), de la Place Royale{\. 3 ; V, 8), de Aîëdée{lW, 4). Il n'y a pas de stances dans l'Illusion comique. Celles de l'infante, au V* acte du Cid, sont médiocres et languissantes. Est-ce à dire qu'il faille s'associer à la condamnation absolue portée contre les monologues lyriques par l'abbé d'Aubignac dans sa Pratique du théâtre : « Souvent nos poètes ont mis des stances dans la bouche d'un acteur parmi les plus grandes agitations de son esprit, comme s'il était vraisemblable qu'un homme en cet état eût la liberté de faire des chansons? • Cette critique enfantine supprimait, avec l'opéra, le drame tragique et comique, car tout drame vit de convention. Si farouche sur les principes, d'Aubignac constate, en fait, le succès des stances du Cid: « Les stances de Rodrigue, où son esprit délibère entre son amour et son devoir, ont ravi toute la cour et tout Paris. » Assurément, il y faut faire la part des antithèses forcées et des trop brillants eoncetti, de tous ces jeux d'esprit à la mode, dont le goût de Corneille, même lorsqu'il deviendra plus sévère, subira toujours un peu la séduction; mais en lisant ces stances si admirées jadis, il ne faut pas oublier, d'abord que Corneille suivait la mode en l'épurant ; puis, que l'antithèse n'est pas seulement dans les mots, mais dans les choses, dans la situation même où se trouve placé Rodrigue, et qui est si contradictoire; enfin, que, vers la fin, le ton des stances se relève, et que les raffinements d'une passion trop espagnole font place au langage plus simple et plus vrai que parle le devoir en tous les pays et en tous les temps. On ne saurait donc entièrement s'associer aux critiques de Fénelon dans sa Lettre à V Académie, ch. de la Tragédie.

292. Atteinte, blessure morale, comme au v. 793.

293. Sur le sens de querelle, voyez la note du v. 244.

294. L'injustice de la destinée qu'il subit est opposée à la justice de la cause qu'il défend, mais l'antithèse est trop exactement balancée.

295. « Il demeure immobile; cela s'entend de reste : il regarde éperdu et presque sans voix le malheur qui vient de lui arriver. Je voudrais donc que toute cette strophe fût dite d'un ton d'étonnement douloureux, avec le regard et le geste d'un homme qiii ne sait pas tout ce que cela veut dire, la voix presque étranglée et basse. • ( rr. Sarcey.)

238. Etrange, comme on le voit par d'innombrables exemples des poètes dramatiques, avait alors un sens beaucoup plus énergique qu'aujourd'hui et s'employait dans les situations les plus tragiques; aujourd'hui ce mot signifie, nos p^us terrible, mais plutôt singulier, bizarre.

301. Sur offenseur, voyex la note du vers 285.

302. Le combat de l'honneur, c'est-à-dire du devoir, contre la passion, ce sera là tout le drame. — S'intéresser en, dans, pour, c'est prendre intérêt à quelqu'un ou à quelque chose, embrasser un parti, comme aux vers 1174 et 1361 de