Page:Cournot - Essai sur les fondements de nos connaissances.djvu/114

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solidaire, conservant toute la certitude d’une démonstration scientifique. Plus il y aura de latitude dans les suppositions permises sur l’état initial (ce qu’on apprendra par une discussion appropriée à chaque cas particulier), plus on aura de motifs de se dispenser de recourir à la finalité des causes ou à l’épuisement d’un nombre immense de combinaisons fortuites, pour rendre complètement raison de l’harmonie qui s’observe dans l’état final.

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En terminant, disons quelques mots de l’usage du principe de finalité comme fil conducteur dans les recherches scientifiques. Cet usage peut ne consister que dans l’application de l’adage vulgaire : « qui veut la fin, veut les moyens. » Lorsque la fin, c’est-à-dire le résultat, est un fait donné et incontestable, il faut, de nécessité logique, admettre les moyens, c’est-à-dire la réunion des circonstances sans lesquelles ce résultat n’aurait pas lieu : et de là une direction imprimée aux recherches expérimentales, jusqu’à ce qu’on ait retrouvé par l’observation directe et positivement constaté ce dont on avait d’abord conclu par le raisonnement l’existence nécessaire. Ainsi, nous sommes autorisés à conclure, de la connaissance que nous avons des habitudes carnassières d’un animal, la présence nécessaire d’armes propres à saisir et à déchirer la proie, un mode de structure de l’appareil digestif approprié au régime carnivore, et ainsi de suite. On a pu de la sorte (50) restituer des espèces détruites, dans les traits les plus essentiels de leur organisation, à l’aide seulement de quelques fragments fossiles ; et l’on a fait dans ce travail de restitution des pas d’autant plus grands qu’on a acquis une connaissance plus approfondie des harmonies de la nature animale. Un pareil travail n’implique point du tout la solution du problème philosophique qui porte sur l’origine et sur la raison des harmonies observées, et n’exige pas qu’on ait pris parti pour l’un ou pour l’autre des trois chefs d’explication entre lesquels il faut choisir pour s’en rendre compte. Il ne s’agit que de conclure logiquement d’un fait certain aux conditions sans lesquelles ce fait ne pourrait avoir lieu. L’esprit, dans cette opération, procède avec toute la sûreté et toute la rigueur démonstratives qui appartiennent aux déductions logiques. Mais il y a encore pour l’esprit une autre marche, qui consiste à se laisser guider par le pressentiment d’une perfection