Page:Cournot - Essai sur les fondements de nos connaissances.djvu/127

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veulent tous nous tromper. Mais, si le fait témoigné est complexe, si toutes les circonstances se relient bien entre elles et avec d’autres faits tenus pour certains, un autre jugement de probabilité, fondé sur l’idée de l’ordre et sur le besoin de nous rendre compte de l’enchaînement rationnel des événements, pourra mettre hors de doute le fait témoigné, lors même que les témoignages ne seraient pas en grand nombre, ou qu’ils seraient exposés à des causes d’erreur manifestement solidaires. Cela s’applique plus spécialement encore aux témoignages historiques. Nous croyons fermement à l’existence de ce personnage que l’on nomme Auguste, non-seulement à cause du grand nombre d’écrivains originaux qui en ont parlé, et dont les témoignages, sur les circonstances principales de son histoire, sont d’accord entre eux et d’accord avec le témoignage des monuments, mais encore et principalement parce qu’Auguste n’est pas un personnage isolé, et que son histoire rend raison d’une foule d’événements contemporains et postérieurs, qui manqueraient de fondement et ne se relieraient plus entre eux si l’on supprimait un anneau de cette importance dans la chaîne historique. À supposer que quelques esprits singuliers se plaisent à mettre en doute le théorème de Pythagore ou l’existence d’Auguste, notre croyance n’en sera nullement ébranlée : nous n’hésiterons pas à en conclure qu’il y a désordre dans quelques-unes de leurs idées ; qu’ils sont sortis à quelques égards de l’état normal dans lequel nos facultés doivent se trouver pour remplir leur destination. Ce n’est donc pas sur la répétition des mêmes jugements, ni sur l’assentiment unanime ou presque unanime, qu’est fondée uniquement notre croyance à certaines vérités ; elle repose principalement sur la perception d’un ordre rationnel d’après lequel ces vérités s’enchaînent, et sur la persuasion que les causes d’erreur sont des causes anomales, affectant d’une manière irrégulière chaque sujet qui perçoit, et d’où ne pourrait résulter une telle coordination dans les objets perçus. En un mot, c’est principalement, et même on pourrait dire essentiellement, sur des probabilités de la nature de celles que nous avons nommées philosophiques, qu’est fondée la critique de nos propres jugements, de nos perceptions personnelles,