Page:Cournot - Essai sur les fondements de nos connaissances.djvu/163

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très-précieux, quand il ne servirait qu’à nous révéler l’existence et quelques-unes des propriétés d’un agent naturel de cette importance, il est assez clair que ce n’est point là sa destination propre, et que la nature nous a donné, comme aux animaux, des yeux pour voir les objets que la lumière éclaire, et nullement pour nous procurer la satisfaction de pénétrer plus ou moins dans la connaissance de la nature de la lumière et des lois qui régissent les phénomènes d’optique. Or, il faut remarquer que l’acte de la vision ne dépend essentiellement, ni de la nature intime du principe lumineux, ni de son mode spécial d’action sur la fibre nerveuse, ni de l’espèce de sensation qui est immédiatement liée à ce mode d’action. La rétine pourrait devenir insensible aux rayons du spectre solaire qui lui envoient maintenant les diverses sensations de couleurs, et recevoir par des rayons actuellement invisibles (comme nous savons qu’il en existe en deçà et au delà des limites du spectre visible) des sensations dont nous n’avons présentement nulle idée, sans que cela altérât les conditions essentielles de la visibilité des corps, savoir : le rayonnement indéfini en tous sens suivant des lignes droites, la réflexion et le brisement des rayons au passage d’un milieu dans un autre. Toute irradiation assujettie à ces lois géométriques, quoique d’ailleurs physiquement distincte de l’irradiation lumineuse, pourrait, comme la lumière, se prêter au jeu d’un instrument destiné à percevoir les corps à distance, pourrait être l’intermédiaire de ce toucher à distance, tout à fait indépendant de la sensation sui generis qui s’y associe, et qui résulte (sans que nous sachions comment) tant de la nature intime des divers rayons du spectre lumineux, que de la structure spéciale des tissus nerveux de la rétine et du nerf optique. Les suppositions que nous faisons, pour le besoin de notre analyse, ne sont pas purement gratuites : il y a des anomalies organiques qui suffiraient pour en suggérer l’idée. Les yeux de quelques personnes sont naturellement ou deviennent accidentellement insensibles à certaines couleurs. On cite des cas où la distinction des couleurs paraissait être entièrement abolie, et où les images des corps éclairés continuaient d’être perçues à la manière des figures d’une estampe ou d’une peinture en grisaille. Les sujets chez qui la vision s’opérait dans ces conditions anomales peuvent se comparer à ceux chez qui la distinction