Page:Cournot - Essai sur les fondements de nos connaissances.djvu/164

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des saveurs est abolie, quoiqu’ils perçoivent encore, en prenant leurs aliments, les impressions du chaud et du froid et les autres sensations tactiles. Ce qu’il y a de fondamental dans la fonction et dans la sensation qui l’accompagne subsiste encore, même après la suppression ou l’émoussement de cette sensibilité spéciale et accessoire que la nature emploie, dans cette circonstance comme dans bien d’autres, pour l’excitation du sujet sentant ou la parure de l’objet senti, de manière à atteindre plus complètement ou plus sûrement la fin en vue de laquelle tout l’organisme fonctionne. Lorsque nous plaçons devant nos yeux des verres colorés, ou lorsque nous éclairons les objets avec une lumière privée artificiellement de quelques-uns des rayons qui entrent dans la composition de la lumière solaire, nous nous plaçons volontairement dans des conditions analogues à celles où se trouvent placés, par infirmité ou par maladie, les sujets dont nous parlions tout à l’heure ; et néanmoins la vision s’opère comme dans les conditions ordinaires, de manière à nous donner les mêmes idées des distances, des formes et des dimensions des corps, et en général de tous les phénomènes du monde physique, excepté seulement ce qui tient à la coloration des corps et des images. Nos théories de mécanique, d’astronomie, de physique générale, de chimie, de physiologie, seraient absolument les mêmes, quand la nature aurait compris dans l’étendue du spectre solaire visible pour nous un rayon de moins ou un rayon de plus, ou quand, sans modifier la sensibilité de notre organe, elle aurait changé la nature du flambeau, en substituant à notre Soleil une de ces étoiles qui nous paraissent rouges ou vertes, ou dont la lumière, sans offrir des différences aussi saillantes, se trouve pourtant, par l’analyse qu’on en fait avec le prisme, autrement composée que ne l’est la lumière solaire. On doit au physicien Brewster une théorie ingénieuse, d’après laquelle les teintes graduées du spectre solaire seraient dues à la superposition de trois spectres, rouge, jaune et bleu, pour chacun desquels la lumière est de même teinte partout, mais d’intensité variable d’un point à l’autre : de sorte que, les points où chaque teinte atteint son maximum d’intensité n’étant pas les mêmes, c’est tantôt une couleur et tantôt l’autre qui domine dans le spectre formé par la superposition et le mélange des trois spectres élémentaires. Suivant