Page:Cournot - Essai sur les fondements de nos connaissances.djvu/166

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de couleurs comme des sensations de sons, d’odeurs, de saveurs : elles pourraient être abolies, sans qu’il en résultât, de toute nécessité, aucune suppression dans le système de nos connaissances. La lumière, prise en masse, c’est-à-dire tout le système des rayons actuellement visibles, pourrait perdre son action spéciale sur la rétine, et passer ainsi à l’état d’effluve invisible, que nous pourrions encore, non-seulement arriver à la connaissance du monde extérieur et des corps à distance, mais même découvrir l’existence et les propriétés caractéristiques du principe lumineux rendu invisible, si d’ailleurs la rétine devenait sensible à un autre effluve soumis aux mêmes lois de rayonnement, et qui satisferait par conséquent aux conditions géométriques de la vision ou du toucher à distance. À la vérité, l’œil est pour les rayons actuellement visibles un réactif bien plus sensible, et (ce qui est encore d’une tout autre importance scientifique) un instrument de mesure bien plus précis que ne sauraient l’être le thermomètre, l’aiguille aimantée ou les préparations chimiques ; de sorte qu’il y aurait, dans les hypothèses imaginaires où nous nous plaçons pour le besoin de notre analyse, bien plus de difficultés à créer la théorie de cette lumière invisible, qu’à créer la théorie de la chaleur sans la suggestion des sensations du chaud et du froid, les théories chimiques sans le secours des organes du goût et de l’odorat, ou même la théorie des vibrations des corps sans le secours du sens de l’ouïe. Mais, encore une fois, il s’agit pour nous, dans toute cette analyse, des conditions essentielles de la connaissance, de celles dont le défaut est une cause d’ignorance invincible, et non des circonstances accessoires qui facilitent les progrès des connaissances et en développent le germe naturel, de manière à les faire passer à l’état de théories scientifiques. La marche de toute la physique serait singulièrement entravée si nous ne possédions ni une substance solide et transparente, comme le verre, ni un métal liquide aux températures ordinaires, comme le Mercure : ce qui ne veut pas dire qu’il faille, dans une critique des sources de la connaissance humaine, assigner un rôle fondamental à ces propriétés spécifiques et très-particulières, qui donnent, dans la pratique industrieuse des expériences, une importance très-grande au verre et au Mercure. Les sensations de couleurs sont d’ailleurs, à tous égards,