Page:Cournot - Essai sur les fondements de nos connaissances.djvu/234

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une valeur objective aux idées de temps et d’espace, est-ce céder à une illusion du même genre que celle qui nous fait transporter aux arbres du rivage le mouvement du navire qui nous emporte, et au système des astres le mouvement de la terre d’où nous les observons (7) ? Mais, par quel prodigieux hasard, s’il en était ainsi, les phénomènes dont la connaissance nous arrive s’enchaîneraient-ils suivant des lois simples, qui impliquent l’existence objective du temps et de l’espace ? La loi newtonienne, par exemple, qui rend si bien raison des phénomènes astronomiques, implique l’existence, hors de l’esprit humain, du temps, de l’espace et des relations géométriques. Comment admettre que les phénomènes astronomiques, si manifestement indépendants des lois ou des formes de l’intelligence humaine, viendraient se coordonner, d’une manière simple et régulière, en un système qui ne signifierait pourtant rien hors de l’esprit, parce que la clé de voûte de ce système serait un fait intellectuel, humain, mal à propos transporté dans le monde où s’accomplissent les phénomènes astronomiques ? Ce qui se dirait des phénomènes astronomiques pourrait se dire de tous ceux que la science a ramenés à des lois régulières, simples, et qui paraissent tenir de très-près, en raison de cette simplicité même, aux lois primordiales qui nous sont cachées. Au surplus, nous n’en sommes pas réduits à insister sur de telles inductions, quelque pressantes qu’elles soient. Nous pouvons pénétrer et nous avons effectivement pénétré plus avant dans la nature de l’acte qui nous donne la connaissance de l’espace. L’analyse de nos facultés intellectuelles nous a fait, pour ainsi dire, toucher du doigt la corrélation sur laquelle la nature se fonde et les procédés qu’elle emploie pour donner, non-seulement à l’homme, mais aux autres espèces animales, la représentation et la perception de l’espace, selon la mesure de leurs besoins. La hardie négation de Kant se trouve réfutée d’avance par cette analyse même qui nous montre avec évidence la raison de la valeur représentative des impressions sensibles, en ce qui touche à la configuration et aux rapports géométriques des objets d’où ces impressions émanent. Il n’en résulte pas sans doute de démonstration catégorique et l’on sait que le système du grand logicien allemand, c’est de réputer sans valeur tout ce qui n’est pas établi par une démonstration