Page:Cournot - Essai sur les fondements de nos connaissances.djvu/235

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logique ; mais la raison se refuse à le suivre dans cette voie qui aboutit nécessairement, comme tout le monde l’a remarqué, à l’idéalisme pur ou au scepticisme le plus absolu.

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Que si l’on veut aller plus loin et suivre les ontologistes dans leurs controverses sur la nature de l’espace et du temps, on se heurte sans doute contre des contradictions insolubles. Il y a des difficultés également insurmontables à regarder l’espace et le temps comme des substances ou comme les attributs d’une substance ; et il faut pourtant bien, dans la hiérarchie ontologique, que les objets de notre connaissance viennent se ranger parmi les substances ou parmi les attributs des substances. Mais de pareilles contradictions ne déposent pas nécessairement contre la valeur objective des idées d’espace et de temps : elles s’expliquent aussi bien et mieux encore, si l’on admet que la philosophie ontologique part d’un principe arbitraire quand elle entreprend de classer en substances et en attributs tous les objets de la connaissance ; et cela vient à l’appui des remarques déjà faites (135 et 136), comme de celles que nous ferons ultérieurement. Il n’y a rien de plus clair dans l’esprit humain que les conceptions de l’espace et du temps et tout ce qui s’y rattache : il n’y a rien de plus obscur que la notion de substance et tout ce qu’on en a voulu déduire. En bonne critique, il ne faut pas juger de ce qui est clair par ce qui est obscur ; il faut au contraire que les idées claires par elles-mêmes projettent leur lumière sur les régions obscures du champ de la connaissance, et nous aident à en chasser les fantômes. Les idées d’espace et de temps sont tellement claires par elles-mêmes, qu’elles échappent nécessairement à toute définition. Lorsque Leibnitz définit l’espace : l’ordre des choses coexistantes, et le temps : l’ordre des existences successives, il est trop clair que ses définitions présupposent l’idée des objets définis, et qu’elles ne nous apprendraient rien sur leur nature, si nous n’en avions l’idée antérieurement à la définition. Mais pourtant ces définitions ont un sens philosophique en ce qu’elles indiquent que l’idée d’ordre, par son degré de généralité, domine les idées du temps et de l’espace, non point seulement dans l’échelle des abstractions logiques, mais bien plutôt dans celle des conceptions rationnelles : de sorte que, dans la théorie de l’ordre en général, se trouve la raison d’un