Page:Cournot - Essai sur les fondements de nos connaissances.djvu/241

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qui surpassent nos connaissances, si les corps, si l’espace ne sont que des phénomènes dont il nous est bien donné de percevoir la réalité externe, mais non le fondement absolu et l’essence première. Il y a dans la nature de l’homme des besoins qui n’auraient pas satisfaction, des facultés qui sembleraient vaines et trompeuses, si tout finissait pour lui avec la vie animale. D’un autre côté, il répugne de placer dans l’espace et dans le temps l’accomplissement des destinées supérieures de l’homme, en dehors de la sphère des phénomènes organiques et des faits sensibles. Nous ne prétendons point que la raison livrée à elle-même soit habile à sonder ces mystères : nous disons seulement qu’en présence de tels mystères et pour la conciliation de croyances instinctives ou acquises qui semblent se combattre, la raison trouve de nouveaux motifs d’admettre que les formes de l’espace et du temps, toujours conçues comme inhérentes aux phénomènes et non à la constitution de l’esprit humain, n’ont pourtant elles-mêmes qu’une valeur phénoménale. Nous nous gardons d’avancer que la probabilité philosophique de cette solution soit une probabilité de même ordre que celle qui rend légitime, aux yeux de la raison, la croyance de sens commun à l’existence objective des corps, à celle du monde extérieur, tel qu’il se montre à nous dans l’espace et dans le temps. Que ceux pour qui de telles inductions sont sans valeur abandonnent le champ de la spéculation philosophique, ils en ont pleinement le droit : pour ceux à qui une telle désertion répugnerait, il faut accepter les inductions comme elles s’offrent ; autant que possible, sans se faire illusion à soi-même, et surtout sans vouloir faire illusion à d’autres.