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Nous nous proposons dans ce livre de donner l’esquisse d’une critique de la connaissance, et nullement de chercher dans le cœur humain, dans l’analyse des penchants et des besoins de la nature humaine, des règles de morale privée, de droit ou de politique. Sans doute, l’homme peut trouver dans sa conscience des motifs d’admettre ou de rejeter certaines théories, suivant qu’elles lui paraissent conduire à des conséquences pratiques qu’un cœur honnête approuve ou désavoue. C’est un critère comme un autre, et peut-être le meilleur de tous ; mais ce n’est pas celui dont nous voulons nous occuper ici. Nous envisageons au contraire les idées morales, de quelque source qu’elles proviennent, comme des objets de connaissance pour l’entendement ; et la question philosophique que nous posons est celle de savoir s’il y a lieu de les regarder simplement comme des faits humains qui tiennent à la constitution toute particulière de notre espèce, ou s’il faut au contraire les rattacher à un ordre de faits, de lois et de conditions qui dominent les lois et les conditions de l’humanité. C’est un autre cas du problème qui nous a occupé jusqu’ici, et le principe de solution doit encore être le même.

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Supposons, par exemple, qu’il s’agisse d’apprécier avec une parfaite indépendance philosophique un système de morale où la recherche du plaisir, l’éloignement de la douleur seraient considérés comme le but et la règle des actions humaines. Il ne serait pas difficile d’apercevoir qu’un tel système n’est point en harmonie, non-seulement avec certains éléments de la nature humaine, mais avec ce qui nous est dévoilé du plan général de la création. Partout nous voyons que la nature fait intervenir le plaisir et la douleur comme moyen et non comme but, comme ressorts pour obtenir certains résultats et non comme fins dernières. Le plaisir et la douleur sont attachés à certaines impressions des agents extérieurs, à certaines fonctions de la vie de l’animal, précisément dans la mesure requise pour la conservation des individus et des espèces. Toute analogie serait rompue, si l’homme, en acquérant des facultés supérieures à celles de l’animalité, ne les acquérait pas pour d’autres fins que pour ce qui n’est pas même une fin dans l’ordre des fonctions et des facultés animales. Et la dissonance