Page:Cournot - Essai sur les fondements de nos connaissances.djvu/290

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de symétrie là où il n’y a aucune raison intrinsèque pour que la symétrie soit troublée, et parce que cette manière de voir de l’esprit humain trouve sans cesse sa confirmation dans l’étude des phénomènes et des lois de la nature. Voilà pour l’explication des conditions fondamentales de l’œuvre et des raisons qui, dans l’espèce, fixent les points de repère du profil ; il ne serait pas aussi facile de dire ce qui guide le goût de l’artiste dans le tracé, en apparence arbitraire, qui doit les relier, et ce qui nous fait préférer un tracé à l’autre, comme plus correct, plus élégant, plus pur ; mais l’observation nous enseigne que l’artiste a, dans cette partie de sa tâche, deux extrêmes à éviter : le style raide ou sec, et le style maniéré ou contourné. Nous comprenons de plus que l’un des extrêmes pèche en ce qu’il semble annoncer une contrainte servile, et l’autre en ce qu’il témoigne d’une complication capricieuse ; ce qui suffit pour nous convaincre qu’indépendamment de tout système arbitraire, il doit y avoir entre ces extrêmes une forme moyenne et normale. Enfin, l’histoire de l’art nous apprend, par une foule d’exemples en tout genre, que la marche naturelle de l’esprit humain est de débuter dans les arts par la raideur, et de finir par le maniéré de l’exécution. Il y a là un sujet d’analyses subtiles et des problèmes des plus curieux à résoudre, mais dont il semblerait par trop étrange qu’un algébriste essayât de trouver la solution.

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Il ne faut pas que la pénurie du langage nous porte à confondre des affections de nature diverse et foncièrement distinctes, quoiqu’elles s’unissent dans ces phénomènes complexes que nous nommons sensations et sentiments. Autre chose est le sentiment que nous avons du beau, autre chose est le plaisir ou l’émotion agréable que le spectacle du beau nous procure. De ce qu’une tragédie ou un opéra, souvent médiocres, nous remueront plus que la vue d’un tableau, d’une statue ou d’un monument d’architecture, nous nous garderons de conclure qu’il y a dans l’opéra ou dans la tragédie des beautés d’un ordre bien supérieur à tout ce que peut produire l’art des Phidias et des Raphaël. C’est principalement l’aptitude à ressentir l’impression agréable ou voluptueuse, qui dépend de particularités d’organisation très-variables, au point que souvent ce qui plaît