Page:Cournot - Essai sur les fondements de nos connaissances.djvu/293

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relatifs de ton et de durée, quelle que soit la valeur absolue de la note fondamentale, et quelles que soient les préférences du goût individuel au sujet du timbre et de la qualité des sons, selon les instruments et les voix employés à l’exécution du morceau.

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Ces préférences individuelles, d’où dépendent ce qu’on appelle dans les arts le style ou la manière, et ce qu’on appelle la mode dans les choses où l’on ne vise point à la beauté esthétique, ne doivent donc pas être confondues avec le goût, qui poursuit les conditions essentielles de la beauté, conformément à un certain type idéal ; et il ne faut pas davantage confondre la perception du beau d’après un type constant et indépendant de notre organisation, avec l’émotion voluptueuse qui s’y joint, mais dont la vivacité, que l’habitude émousse (quoiqu’elle ne fasse que donner plus de persistance à nos jugements sur la beauté intrinsèque), est d’ailleurs si variable selon les tempéraments, selon la nature des agents ou des matériaux dont les arts disposent, et selon leur mode d’action sur notre organisme. Or, quand on a ainsi abstrait par la pensée tous les sentiments accessoires et variables qui s’unissent au goût intellectuel ou à la perception du beau, que reste-t-il, sinon une faculté de la pure raison, une manière de juger et de discerner dans les choses les rapports d’ordre, de convenance, d’harmonie et d’unité ? Omnis porro pulchritudinis forma unitas est, a dit saint Augustin dans une phrase que tout le monde a citée, et qui serait en effet la meilleure définition de la beauté, s’il était possible de la définir et de contenir dans une formule générale ce qui se présente (à nos yeux du moins, et dans l’éloignement où nous sommes des principes suprêmes) sous des aspects si variés. Nous la préférerons encore à ces définitions plus modernes et plus mystiques que philosophiques, qui font consister la beauté dans un prétendu rapport entre le fini et l’infini, auquel il est douteux que la plupart des grands artistes aient jamais pensé, et dont en tout cas la recherche caractériserait plutôt une école particulière, qu’elle ne répondrait à l’idée que les hommes se sont faite en tout temps de la beauté. À ce degré d’abstraction, la morale même peut être considérée, et on l’a considérée souvent comme une branche de