Page:Cournot - Essai sur les fondements de nos connaissances.djvu/300

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en les qualifiant de quantités discrètes ou discontinues. Le marchand qui livre cent pieds d’arbres, vingt chevaux, ne livre pas des quantités, mais des nombres ou des quotités. Que s’il s’agit de vingt hectolitres ou de mille kilogrammes de blé, la livraison aura effectivement pour objet des quantités et non des quotités, parce qu’on assimile alors le tas de grains à une masse continue quant au volume ou quant au poids, sans s’occuper le moins du monde d’y discerner ou d’y nombrer des objets individuels. Une somme d’argent doit aussi être réputée une quantité, parce qu’elle représente une valeur, grandeur continue de sa nature ; et que le compte des pièces de monnaie, compte qui peut changer, pour la même somme, selon les espèces employées, n’est qu’une opération auxiliaire, imaginée dans le but d’arriver plus vite à la mesure de la valeur.

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D’après la définition vulgaire, on appelle quantité tout ce qui est susceptible d’augmentation ou de diminution ; mais il y a une multitude de choses susceptibles d’augmenter et de diminuer, et même d’augmenter et de diminuer d’une manière continue, et qui ne sont pas des grandeurs, ni par conséquent des quantités. Une sensation douloureuse ou voluptueuse augmente ou diminue, parcourt diverses phases d’intensité, sans qu’il y ait de transition soudaine d’une phase à l’autre ; sans qu’on puisse fixer l’instant précis où elle commence à poindre et celui où elle s’éteint tout à fait. C’est ainsi, du moins, que les choses se passent incontestablement dans une foule de cas ; et si, d’autres fois, la douleur semble commencer ou finir brusquement, augmenter ou diminuer par saccades, il y a tout lieu de croire (comme à l’égard du choc qui paraît changer brusquement le mouvement d’un corps) que la discontinuité n’est qu’apparente, et qu’en réalité le phénomène est toujours continu, bien que nous confondions en un même instant de la durée les phases dont la succession nous échappe, à cause de l’imperfection de ce sens intime que l’on appelle la conscience psychologique. Cependant il n’y a rien de commun entre la sensation de plaisir ou de douleur et la notion mathématique de la grandeur. On ne peut pas dire d’une douleur plus intense qu’elle est une somme de douleurs plus faibles. Quoique la sensation, dans ses modifications