Page:Cournot - Essai sur les fondements de nos connaissances.djvu/308

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pour l’expression de l’idée pure, en tant seulement qu’objet de connaissance, indépendamment de toute intention de plaire ou de toucher, le philosophe est aussi et ne saurait se dispenser d’être artiste à sa manière. Trompés par la nature des signes d’institution auxquels ils sont forcés d’avoir recours, les hommes se sont figuré leurs idées comme autant d’unités, de chiffres, de monades, et ils ont supposé que tout le travail de la pensée consiste à combiner ou à grouper systématiquement ces objets individuels. Il semble qu’on puisse toujours compter les vérités, les erreurs semées dans un livre, de même qu’un astronome fait un catalogue d’étoiles, un commissaire le dénombrement des habitants d’une ville ; de même encore que l’on compte les propositions contenues dans un traité de géométrie, ou les fautes de calcul échappées à un rédacteur de tables. Cependant, si l’objet de l’idée, quoique placé hors de la sphère des phénomènes sensibles, est un de ceux qui comportent des modifications continues, le caractère de vérité qui consiste dans la conformité de l’idée avec son type et de l’expression de l’idée avec l’idée même, admettra pareillement des gradations continues. On pourra bien dire alors que tel esprit a approché davantage de la vérité : on ne pourra pas énumérer les vérités nouvelles dont il est l’inventeur. Chacun appréciera à sa manière le mérite de cette approximation, jugera de cette espèce de ressemblance, sans pouvoir précisément réfuter ceux qui n’adopteraient pas son appréciation et qui contrediraient son jugement. L’inexactitude du dessin d’un animal saute aux yeux d’un naturaliste, s’il n’y trouve pas le nombre de doigts, de dents, de pennes, de nageoires, qui caractérise l’espèce : voilà des erreurs qui peuvent se compter et s’établir sans contestation, parce qu’il n’y a pas d’intermédiaire et de nuance entre trois, quatre et cinq doigts. Au contraire, un peintre dont l’attention ne s’est jamais fixée sur les caractères qui servent à la classification méthodique des espèces, trouve la physionomie ou le facies de l’animal rendu avec plus ou moins de vérité ; et si on lui conteste son appréciation, il ne peut qu’en appeler à ceux qui ont comme lui le sentiment de la physionomie de l’animal et de l’art du dessin. Il ne peut recourir à une preuve en forme, pas plus que