Page:Cournot - Essai sur les fondements de nos connaissances.djvu/310

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en s’éloignant de sa source, et dont l’œil suit plus ou moins loin la trace, selon le ton de sa sensibilité. Et qu’on ne dise pas, pour infirmer l’exemple, que c’est une pure question de nomenclature et de méthode que celle de savoir si l’on rangera une plante, un animal dans telle ou telle famille. Une classification vraiment naturelle, et même toute classification dans ce qu’elle a de naturel, ne peut être que l’expression des affinités qui lient entre eux les êtres organisés, et des lois auxquelles la nature s’astreint en variant et en modifiant les types organiques : lois qui subsistent indépendamment de nos méthodes et de nos procédés artificiels, tout comme les lois qui régissent les mouvements de la matière inerte, quoiqu’elles ne puissent pas de même s’énoncer en termes d’une exactitude rigoureuse, ni se constater par des mesures précises ou dont la précision n’ait d’autres limites que celles qui dérivent de l’imperfection des instruments. En général, comme nous avons tâché de l’établir dans l’avant-dernier chapitre, à côté de l’abstraction artificielle qui n’est qu’une fiction de l’esprit, accommodée à ses instruments et à ses besoins, se place l’abstraction rationnelle, qui n’est que la conception ou la représentation idéale des liens que la nature a mis entre les choses et de la subordination des phénomènes. Mais presque toujours, par suite des efforts continuels de l’esprit pour arriver à l’intelligence des phénomènes, il y a mélange des deux sortes d’abstraction et transition continue de l’une à l’autre : car les liens de solidarité, de parenté, d’harmonie, d’unité, que nous tâchons de saisir par l’abstraction rationnelle, peuvent être plus ou moins tendus ou relâchés, tandis que notre esprit éprouve pour tous les objets de la nature le même besoin de classification, de régularité et de méthode. La critique philosophique doit faire autant que possible le départ de l’abstraction artificielle et de l’abstraction rationnelle, en se fondant sur des inductions et des probabilités : or, comme nous l’avons encore expliqué plus haut, il est de l’essence de la probabilité philosophique de se prêter à des altérations ou progressions continues, sans que pour cela cette probabilité puisse être évaluée en nombres ; sans qu’elle devienne une grandeur mesurable à la manière de la probabilité mathématique.