Page:Cournot - Essai sur les fondements de nos connaissances.djvu/32

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

l’esprit parvient à mettre de l’ordre dans ses connaissances, à en faciliter l’inventaire, ou (ce qui revient au même) à décrire plus aisément comment les choses sont ; mais c’est par l’autre faculté que l’esprit saisit le pourquoi des choses, l’explication de leur manière d’être et de leurs dépendances mutuelles. À la vérité, le comment et le pourquoi des choses se tiennent de très-près, en ce sens que, bien décrire une chose, c’est ordinairement mettre la raison sur la voie de l’explication de cette chose ; ou plutôt, nous ne jugeons une description excellente et nous ne la préférons à toute autre que parce qu’elle nous place immédiatement au point de vue le plus favorable pour l’expliquer et pour pénétrer autant que possible dans l’intelligence des rapports qui en gouvernent la trame et l’organisation. Il est donc tout simple que les classifications abstraites et les termes généraux ne soient pas seulement un secours pour l’attention et la mémoire, des instruments commodes de recherches et de descriptions, mais qu’ils contribuent aussi à rendre plus prompte et plus nette la perception de la raison des choses, en quoi nous faisons consister l’attribut le plus essentiel de la raison humaine. Ce n’est pas toutefois un motif pour confondre des facultés distinctes dans leur principe, et qui sont susceptibles de se développer très-inégalement. Par exemple, l’enfant dont nous parlions tout à l’heure, et qui voudrait savoir le pourquoi de tout, ne possède encore qu’à un bien faible degré la faculté d’abstraire et de généraliser ; des hommes doués d’un esprit très-pénétrant et très-inventif, au moins dans les choses spéciales auxquelles ils s’appliquent, ne sont point familiarisés avec les formes et les étiquettes de la logique, avec les termes généraux et les classifications abstraites. D’un autre côté, des savants, des philosophes très-enclins à la généralisation, à la classification, très-féconds à créer des mots nouveaux ou des étiquettes nouvelles pour les genres et les classes qu’ils imaginent, ne sont pas ceux qui font faire les progrès les plus réels aux sciences et à la philosophie. Il faut donc que le principe vraiment actif, le principe de fécondité et de vie, pour tout ce qui tient au développement de la raison et de l’esprit philosophique, ne se trouve pas dans la faculté d’abstraire, de classer et de généraliser.