Page:Cournot - Essai sur les fondements de nos connaissances.djvu/320

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lequel est par conséquent accommodé à la nature des choses, mais non à la manière de procéder de l’esprit humain, pour qui il n’y a de sensibles et de directement saisissables que des variations finies. Ainsi, quand un corps en se refroidissant émet sans cesse de la chaleur thermométrique, la perte de température qu’il éprouve dans un intervalle de temps quelconque, si petit qu’on le suppose, est un effet composé, résultant, comme de sa cause, de la loi suivant laquelle le corps émet sans cesse, en chaque instant infiniment petit, une quantité infiniment petite de chaleur thermométrique. Le rapport entre les variations élémentaires de la chaleur et du temps est la raison du rapport qui s’établit entre les variations de ces mêmes grandeurs quand elles ont acquis des valeurs finies. De même, les espaces décrits par un corps qui tombe librement, en cédant à l’action de la pesanteur, varient proportionnellement aux carrés des temps écoulés depuis le commencement de la chute, parce que l’accroissement infiniment petit de l’espace parcouru est proportionnel en chaque instant à la vitesse acquise, qui elle-même, par un résultat évident de l’action continuelle et constante de la pesanteur, est proportionnelle au temps écoulé depuis que le corps est en mouvement. De cette relation si simple entre les éléments du temps écoulé et de l’espace décrit, dérive, comme de sa cause, la loi moins simple qui lie l’une à l’autre les variations finies de ces deux grandeurs. C’est en ce sens qu’on a pu dire avec fondement que les infiniment petits existent dans la nature : non que des grandeurs infiniment petites puissent en aucune façon tomber dans le domaine de l’imagination ou de la perception sensible, mais parce que la notion abstraite et purement intelligible de l’élément infinitésimal, loin d’être une abstraction d’origine artificielle (156), accommodée à l’organisation de l’esprit humain, à notre manière de concevoir et d’imaginer les choses, y est plutôt opposée, tandis qu’elle s’adapte directement au mode de génération des phénomènes naturels, et à l’expression de la loi de continuité qui les régit. Et c’est pour cela que l’algorithme de Leibnitz, qui prête à la méthode infinitésimale le secours d’une notation régulière, est devenu