Page:Cournot - Essai sur les fondements de nos connaissances.djvu/323

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s’il s’agit, en vertu de cette règle, d’exprimer numériquement la longueur de la diagonale d’un carré dont on a mesuré le côté, comme la précision de la mesure est nécessairement bornée, puisqu’il y a nécessairement des bornes au perfectionnement des sens et des instruments mis en œuvre, il serait chimérique d’outrepasser, dans l’application du calcul ou de la règle logique, la limite de précision imposée à l’opération de la mesure. Si l’on ne peut répondre d’un décimètre sur la mesure de la longueur du côté, il serait déraisonnable de pousser le calcul de la diagonale jusqu’aux millimètres ou aux fractions de millimètre ; et le défaut de précision des données, quand on arrive aux fractions de cet ordre, ôterait toute signification à la précision du calcul. Cette remarque doit paraître bien simple, et pourtant elle a été bien fréquemment perdue de vue dans les applications du calcul aux sciences physiques : sans égard à toutes les circonstances qui devaient influer sur la limite de précision des observations et des mesures souvent très-compliquées, on a affecté dans les calculs ou dans certains détails d’expériences une précision illusoire, dont l’inconvénient n’est pas tant d’entraîner des soins et des travaux inutiles, que de donner à l’esprit une fausse idée du résultat obtenu. Une illusion du même genre, beaucoup plus difficile à démêler et à détruire, peut nous tromper sur la portée et sur les résultats de ces règles administratives et judiciaires, par lesquelles on s’est proposé, non sans de bons motifs, de limiter l’usage discrétionnaire de certains pouvoirs, la latitude arbitraire de certaines appréciations. Pour que la raison fût pleinement satisfaite d’un système de pareilles règles, il faudrait que l’arbitraire, repoussé par une porte (si l’on veut nous passer cette image triviale), ne rentrât point par l’autre ; qu’en imposant d’une part des règles de procédure ou de comptabilité minutieuses, on ne laissât pas d’autre part au juge dans l’appréciation de certains faits, au comptable dans la gestion de certaines affaires, une latitude qui détruit les garanties achetées par l’accomplissement de formalités gênantes ou dispendieuses. En un mot, il faut se prémunir contre l’abus du formalisme en affaires, aussi bien et par la même raison qu’il faut se prémunir contre l’abus du calcul en physique : parce qu’il y a