Page:Cournot - Essai sur les fondements de nos connaissances.djvu/44

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de nos connaissances. En conséquence, et suivant les cas, le philosophe s’attachera tantôt à la recherche des causes efficientes, comme lorsqu’il s’agit d’expliquer, par un soulèvement des continents et un déplacement des mers, les grands phénomènes géologiques que l’on observe à l’époque actuelle : tantôt à la recherche des causes formelles et des causes finales, comme dans les cas que nous avons cités, là où il faut rendre compte de résultats généraux, définitifs ou permanents, qui ne dépendent point de l’action accidentelle et irrégulière des causes efficientes. Si ces causes ne piquent en aucune manière notre intérêt, ou s’il n’est resté aucune trace de leur mode d’action, elles resteront ensevelies dans l’oubli. Si, au contraire, elles peuvent exciter notre curiosité ou nos émotions par un côté dramatique ou moral, comme lorsqu’il s’agit de personnages humains, elles alimenteront l’histoire proprement dite, les mémoires anecdotiques et les doctes compilations de l’antiquaire ; mais, dans un cas comme dans l’autre, elles ne seront point l’objet propre des spéculations du philosophe.

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Nous ne pouvons nous empêcher d’indiquer ici en quoi l’idée que nous voudrions donner du caractère essentiel de la spéculation philosophique se rapproche et diffère de celle qu’en avait Leibnitz, lorsque ce grand homme, le plus vaste génie dont les sciences et la philosophie s’honorent, entreprenait de rattacher toute sa doctrine au principe de la raison suffisante, c’est-à-dire à cet axiome : qu’une chose ne peut exister d’une certaine manière s’il n’y a une raison suffisante pour qu’elle existe de cette manière plutôt que d’une autre. On ne saurait trop admirer l’élégance, la symétrie, la profondeur du système édifié sur cette base : système que l’on peut regarder comme le chef-d’œuvre de la synthèse en métaphysique, et qui n’a subi le sort de tous les systèmes que parce qu’il est interdit, même au plus puissant génie, de refaire l’œuvre de Dieu et de reconstruire le monde de toutes pièces, par la vertu d’un principe. D’ailleurs, il ne peut pas être question pour le moment de faire l’exposé ou la critique du système de Leibnitz, mais seulement de présenter quelques observations sur l’énoncé et sur la portée de l’axiome qu’il a rendu fameux, en tant que ces observations peuvent contribuer à éclaircir nos propres idées et à préparer le lecteur aux développements qui doivent suivre.