Page:Cournot - Essai sur les fondements de nos connaissances.djvu/45

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Et d’abord, il est à remarquer que l’épithète de suffisante, appliquée à la raison des choses, semble superflue : car on ne sait ce qu’il faudrait entendre par la raison insuffisante d’une chose. Si la chose C n’existe qu’en raison du concours des choses A et B, on s’exprimerait mal en disant que chacune des choses A et B, prise à part, est une raison insuffisante de C ; mais on doit dire que le concours des choses A et B est la raison d’existence, la raison objective, ou tout simplement la raison de la chose C. Une observation plus essentielle doit porter sur la forme négative de l’axiome. En général, les propositions négatives ont l’avantage de conduire à des conclusions péremptoires et à des démonstrations formelles ; ce sont des règles d’exclusion qui, en obligeant de rejeter toutes les hypothèses hormis une, établissent indirectement et mettent hors de toute contestation l’hypothèse qui subsiste seule après l’exclusion des autres : mais, en revanche, on ne peut se prévaloir de ces arguments négatifs qu’à la faveur de circonstances très-particulières, pour des cas fort simples et comparativement très-restreints. Ainsi, dans le tour de démonstration déjà indiqué (24), et qu’on appelle réduction à l’absurde, on établit l’égalité de deux grandeurs en prouvant que l’une d’elles ne peut être supposée ni plus grande ni plus petite que l’autre : ce tour de démonstration est celui que préféraient les géomètres grecs, dans leur attachement scrupuleux à la rigueur des formes logiques ; mais à mesure que l’on s’élève en mathématiques du simple au composé, le même tour de démonstration, par les complications qu’il entraîne, devient de plus en plus incommode ou impraticable ; en sorte que les modernes ont été conduits à lui en substituer d’autres, dont l’organisation régulière fait précisément la plus grande gloire de Leibnitz, et sans lesquels une foule de vérités importantes seraient restées inaccessibles à l’esprit humain. Il en est de même pour les applications du principe de la raison suffisante. Considérons, par exemple, deux forces d’égale intensité appliquées en un même point suivant des directions différentes, et demandons-nous suivant quelle direction il faudrait appliquer en ce point une troisième force pour maintenir l’équilibre en s’opposant au mouvement que le point tendrait à prendre dans une direction contraire. Il est clair que la direction