Page:Cournot - Essai sur les fondements de nos connaissances.djvu/61

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régularité de structure, tandis que le même règlement serait inique de la part de l’arbitre qui saurait que les dés sont pipés, et en quel sens. En général, si, dans l’état d’imperfection de nos connaissances, nous n’avons aucune raison de supposer qu’une combinaison arrive plus facilement qu’une autre, quoique, en réalité, ces combinaisons soient autant d’événements dont les possibilité physiques ont pour mesure des fractions inégales ; et si nous entendons par probabilité d’un événement le rapport entre le nombre des combinaisons qui lui sont favorables et le nombre total des combinaisons que l’imperfection de nos connaissances nous fait ranger sur la même ligne, cette probabilité cessera d’exprimer un rapport subsistant réellement et objectivement entre les choses ; elle prendra un caractère purement subjectif, et sera susceptible de varier d’un individu à un autre, selon le degré de ses connaissances. Elle aura encore une valeur mathématique, en ce sens qu’elle pourra, et que même elle devra servir à fixer numériquement les conditions d’un pari ou de tout autre marché aléatoire. Elle aura de plus cette valeur pratique d’offrir une règle de conduite propre à nous déterminer (en l’absence de toute autre raison déterminante), dans des cas où il faut nécessairement prendre un parti. Ainsi, nous agirons raisonnablement en prenant nos arrangements en prévision de l’événement A, plutôt qu’en prévision de l’événement B, si la probabilité de A (calculée d’après l’état de nos connaissances, comme on vient de le dire) l’emporte sur celle de B, lors même que la possibilité inconnue de B surpasserait celle de A ; mais les valeurs numériques des probabilités de A et de B ne détermineront alors qu’un ordre de préférence ; ce ne seront plus des mesures, dans le vrai sens du mot. En conséquence, de telles probabilités, quoique méritant d’attirer l’attention du philosophe qui analyse les motifs de nos jugements, celle du moraliste qui cherche une règle de nos actions, devront être réputées en dehors des applications d’une théorie mathématique qui a pour objet des grandeurs qu’on puisse rigoureusement comparer à une unité de mesure.

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Pour les événements fortuits dont l’homme n’a pas lui-même déterminé les conditions, les causes qui donnent telle possibilité physique à tel événement sont presque toujours