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Prenons un autre exemple, plus rapproché des phénomènes qu’on appelle proprement organiques. Les éléments chimiques des corps que nous avons pu soumettre à l’analyse sont en assez grand nombre, mais ils sont loin de jouer tous le même rôle dans l’économie de notre monde terrestre. Les uns sont abondants, les autres rares ; quelques-uns, en petit nombre, se prêtent à des combinaisons bien plus variées, bien plus complexes, et par là se trouvent aptes à fournir à la nature organique ses matériaux essentiels. Or, il est certain que les causes qui ont déterminé les proportions et la répartition dans la masse de notre globe des diverses substances chimiquement hétérogènes, sont par leur nature indépendantes de celles qui ont suscité le développement des êtres organisés et vivants ; et d’un autre côté, quoique la nature vivante, subissant l’influence des conditions physiques, puisse, dans sa fécondité merveilleuse, se prêter à des conditions physiques fort diverses, en modifiant les types par des voies apparentes ou secrètes, de manière à les rendre compatibles avec les nouvelles conditions, il est pareillement certain que cette puissance de modification a des limites fort restreintes, comparativement à la distance des limites entre lesquelles les conditions physiques et extérieures peuvent osciller. Que l’on imagine, entre les matériaux chimiques dont les couches superficielles de notre globe se composent, d’autres proportions, une répartition différente, et le développement des plantes et des animaux deviendra impossible, faute des conditions requises. Que la masse de l’atmosphère diminue suffisamment, et la surface entière du globe sera dans les conditions où se trouvent les sommets glacés des Alpes. Que la proportion de silice augmente à la surface, et les continents offriront partout l’aspect de stérilité qu’ont pour nous les sables du désert. Que la proportion de chlorure de sodium augmente dans les eaux de l’océan ou qu’il s’y mêle quelques principes malfaisants, et ses eaux seront dépeuplées comme celles du lac Asphaltite. Il faut que la masse de l’atmosphère (pour ne parler que de cette circonstance seule) soit en rapport avec la distance de la terre au Soleil, d’où lui vient la chaleur qu’elle doit retenir et concentrer, et en même temps en rapport avec la manière d’agir des forces qui président à l’évolution des êtres vivants ; sans quoi (comme l’observation même nous apprend que la chose