Page:Cournot - Essai sur les fondements de nos connaissances.djvu/97

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soustraits par leur genre de vie à l’action de la lumière, et que si ce défaut d’excitation paralyse la force plastique qui tend au développement le plus complet de l’appareil, dans les circonstances convenables de nutrition et d’excitation, on n’en peut pas conclure inversement que la lumière possède la vertu plastique, ni qu’il suffise de l’ébranlement donné par la lumière, pour que le travail de l’organisation aboutisse à la construction de l’appareil de la vision, sans un accord préalable, parte in qua, entre les propriétés physiques de la lumière et les lois propres à l’organisme. Il ne faut pas que la généralité de l’emploi de l’appareil de la vision dans le règne animal soit une cause d’illusion. L’électricité joue dans le monde physique un rôle aussi considérable que celui de la lumière ; cependant, tandis que presque tous les animaux ont des yeux, il n’y a rien de plus particulier et de plus rare que l’existence d’un appareil électrique comme celui qui sert à la torpille et au gymnote de moyen de défense contre ses ennemis et d’attaque contre sa proie. Si l’on plaçait ces poissons dans des circonstances où ils ne pussent charger leurs batteries électriques, ces organes s’atrophieraient, on n’en doit pas douter ; et il n’y aurait là qu’une application de cette loi générale de l’organisme, qui veut que tout organe non exercé subisse un arrêt dans son développement, ou s’atrophie après son développement complet. Mais de là conclura-t-on que l’influence de l’électricité est la force qui crée et qui développe dans la torpille et le gymnote le germe de l’appareil électrique ? Alors, pourquoi la même influence, partout présente, n’aboutirait-elle pas à la construction du même appareil chez toutes les espèces aquatiques, ou tout au moins chez toutes les espèces de même famille, de même genre, qui, outre qu’elles habitent le même élément, ont avec la torpille ou le gymnote électrique de si grandes conformités dans tous les autres détails de leur organisation ? Il en faut conclure que l’œil ne se façonne point par l’action de la lumière, non plus que la batterie de la torpille par l’action de l’électricité, et que la cause génératrice de ces appareils est une force plastique, inhérente à la vie animale, qui poursuit pour chaque espèce la réalisation d’un type déterminé, en se gouvernant d’après des lois qui lui sont propres. Si l’appareil de la vision, considéré dans ses traits les plus généraux,