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VOITURE


1598 — 1648



Peut-on oser le dire en ce temps, où une doctrine barbare, éprise du fait et de la lettre, confond le réel avec la vérité même ? il y a non-seulement des actions, mais des existences d’homme tout entières qui ne sont pas vraies, car les événements n’y répondent pas à la qualité de l’âme qui les a engendrés. Si je demande à Tallemant des Réaux quel fut cet amant passionné et content de mourir qui voulut finir ses jours en l’amour d’Uranie, il me montre un poëte de cour fin, délicat, dameret, spirituel jusqu’au galimatias, flatteur jusqu’à la courtisanerie, se donnant lui-même comme innocent et niais pour avoir le droit de vivre comme un chat favori au coin du feu de l’hôtel de Rambouillet, poussant la familiarité jusqu’à ôter ses galoches en présence de madame la Princesse, et contant fleurette à mademoiselle de Kerveno, âgée de douze ans. Je retrouve bien dans cette agréable historiette le Yoituro fils de marchand de vin, réengendré par M. de Chaudebonne, l’amant de la désolée et folle madame Saintôt, le poursuivant de madame Desloges, le plaisant de cour qui trouve joli de faire grimper des ours sur le paravent de son illustre protectrice ; j’y vois l’ami jaloux et taquin de la Lyonne, l’adversaire héroï-comique du président des Hameaux et de Chavaroche, et enfin le ridicule Yitturius loué avec une emphase grotesque dans la Pompe funèbre de Sarrasin. Les témoignages contemporains, les lettres même où l’ami de M. d’Avaux a émietté son esprit de chaque jour, attestent la véracité de Tallemant des Réaux et la ressemblance du portrait ; et cependant, en dépit de toute prévention contraire, dès que j’ouvre le livre des poésies, j’y trouve, le dirai-je ? en dépit des poésies elles-mêmes, un autre Voiture plus sérieux, plus convaincu, plus grand, plus poëte, plus vrai en un mot, que le Voiture de la réalité et de l’anecdote.