Page:Crépet - Les Poëtes français, t3, 1861.djvu/279

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GENTIL BERNARD


1710 — 1775



Auguste de Thou, énumérant, dans une des pages les plus éloquentes de ses Histoires, les fléaux qui mirent à bas la race des Valois, interrompt tout à coup son propos politique, et s’écrie avec une tristesse dont je voudrais mieux traduire l’expression sévère : « Parmi tant de témoignages de l’avilissement du siècle, il ne faut pas mettre au a dernier rang les poètes français qui pullulèrent sous le règne de a Henri II, et qu’on vit, mésusant de leur génie, prostituer leurs flatteries mercenaires à l’ambition d’une femme. Ils corrompirent la jeua nesse, ils détournèrent les enfants des saines études, et le charme dangereux de leurs chansons lascives éteignit dans l’àme des vierges la délicatesse et la pudeur. » Les annalistes du règne de Louis XV pourraient se contenter de transcrire les arrêts du philosophe intègre, et ils auraientassez dit sur les petits poètes de Bellevue et de Luciennes, ces courtisans de l’ambition d’une femme, ces virtuoses dépravés qui sonnaient leurs aubades libertines aux vaincus de Rosbach, ces apprèteurs de drogues pernicieuses, dont le népenthès aphrodisiaque faisait oublier Corneille et empêchait qu’on découvrît Shakspeare. Mais où historien juge d’un mot, méprise et passe, le critique doit prendre ses instruments de précision, peser les infiniment petits et mesurer les homuncules. A chacun sa part du résultat définitif. Quand le mal a été commis, ne laissons pas même à tous les coupables l’orgueil d’une communauté d’action et d’une parité d’influence : distinguons les époques, classons les individus ; ne permettons pas k Gentil Bernard de se croire le rival de Desportes, bien qu’il vende ses vers à la marquise de Pompadour, au même prix que l’abbé de Tiron réclamait de la reine Marguerite ; prouvons à l’Art d’aimer que, dans l’œuvre satanique de