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DORAT


1734 — 1780



Ce charmant abbé napolitain, devenu si français, dont le mot était si vif, les aperçus si fins, l’abbé Galiani, avait caractérisé d’un trait le talent de ces jeunes écrivains apparus, comme les feux follets de la poésie, dans la seconde moitié du dix-huitième siècle : les reconnaissant tous pour des élèves, plus ou moins heureux, du grand maître de la poésie légère, il les nommait les petits Voltaire — Strass. Tout nouveau qu’il nous paraît à sa date, ce mot serait moins piquant, s’il ne contenait une vue littéraire très-judicieuse et très-précise. Ce genre de poésie, dont Dorat fut un instant l’un des représentants les plus signalés, eut en effet, dans le cours de cette époque, deux formes d’expression assez différentes. Pendant la première partie du siècle où Voltaire, grandissant toujours, n’a pas encore établi son ascendant irrésistible, la poésie légère, avec les Bernis, les Gentil-Bernard, et leur suite, garde son allure indépendante et dégagée de la préoccupation d’un modèle unique. Si elle avoue des maîtres, elle nomme Horace ou Ovide, elle s’entretient dans la naïve illusion qu’elle relève ainsi de la pure antiquité ; et tout bonnement elle procède de Chaulieu, de ce gracieux épicurien de la société du Temple, de cet art aimable et négligé dont elle altère la franchise et dont elle refroidit l’élan chaleureux. Puis, comme bientôt fatigués, tous ces oiseaux jaseurs se dispersent et font silence ; ils ont dit tout ce qu’ils pouvaient dire dans leur gaie saison ; ils se taisent au lendemain, si vite venu, des gazouillements amoureux.

Jeune alors, il était là, dans ce groupe de poètes épicuriens, ce chanteur d’une autre nature, qui prit si facilement, en la modifiant à loisir, la note de ses devanciers, ou qui fit en se jouant sa partie brillante dans ce joli concert, amusant la Régence et les premiers temps du roi