Page:Créquy - Souvenirs, tome 6.djvu/34

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

sœurs pour le dépaqueter de son suaire et pour l’habiller en voyageur malade ; mais elles refusèrent de faire une mascarade avec un cadavre. On alla jusqu’à leur proposer vingt-cinq louis, et ce fut inutilement. On l’enterra donc clandestinement dans un village à quarante lieues de Paris. M. l’Évêque de Frayes fit informer contre l’officiant, qu’on reconnut avoir été trompé par une sorte d’acte en démissoire, attribué faussement à M. de Tersac. On fit défendre à tous les journalistes de parler de la mort de Voltaire et de faire l’éloge de ses œuvres. On défendit aux comédiens de jouer ses pièces, et voilà tout ce qu’il en fut, parce que la famille Necker avait obtenu de M. de Maurepas que le Gouvernement ne poursuivît point les faussaires. Voici la critique de Voltaire en forme d’épitaphe, et l’on m’a dit qu’elle avait été composée par l’abbé Millot, son collègue à l’Académie Française. Je vous dirai, pendant que j’y pense, à propos de cet abbé Millot, qu’il avait le fin génie de l’épigramme latine, et qu’il était tout-à-fait incapable de se moquer de personne en français : disposition singulière et qui me paraissait analogue à celle de Mme de Croüy, qui ne pouvait jamais prier le bon Dieu qu’en patois flamand. L’abbé Millot avait fait un jour jeu de mots sur la mort d’un vieux M. de Fleury, que la Basoche appelait dur-à-cuire, et qui n’avait jamais eu d’enfants quoiqu’il se fût marié quatre ou cinq fois « floruit sine fructu, defloruit sine luctu. » Fleuri sans fruit, et défleuri sans larmes. Écoutez cette épitaphe de Voltaire :