Page:Croiset - Histoire de la littérature grecque, t1.djvu/232

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moiiées après coup à la conccplion unitaire, tandis qu’en les étudiant de près on se convainc au contraire qu’elles ont été presque toutes composées pour tenir précisément la place qu’elles occupent aujourd’hui. L’hypothèse de Nitzsch impliquerait un travail de réparation et d’appropriation vraiment prodigieux, et il devient alors inconcevable qu’un poète d’un esprit aussi puissant se soit donné tant de peine pour rassembler et combiner des morceaux de mérite fort inégal, au lieu de développer librement par lui-même le thème nouveau dont il était l’auteur. Concevoir le premier la pensée si remarquable d’un développement moral tiré d’un caractère, et se servir pour ce développement de matériaux anciens manifestement impropres à cet objet, c’est là, au point de vue littéraire, une chose contraire à toutes les lois de l’esprit humain. La théorie que nous combattons pourrait, en somme, se formuler ainsi : un génie novateur, d’une hardiesse et d’une grandeur incomparables, se mettant au service de toutes les médiocrités passées pour les faire valoir généreusement.

Otfried Millier, un des esprits qui dans notre siècle ont fait le plus d’honneur à l'Allemagne savante, avait un trop vif sentiment de la vérité morale et poétique pour accepter une telle hypothèse. S’il défend, lui aussi, dans son Histoire de la littérature grecque[1], l’unité primitive de l'Iliade, il la conçoit en réalité d’une manière toute différente. Son Homère n’est pas, comme celui de Nitzsch, un poète doublé d’un arrangeur qui économise adroitement sa peine et son génie, c’est tout simplement un poète. Il l’imagine se servant sans doute des œuvres anté-

  1. Chap. V.