Page:Croiset - Histoire de la littérature grecque, t1.djvu/338

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Le neuvième livre comprend les épisodes des Cicones, des Lotophages, des Cyclopes. Les deux premiers sont présentés sous une forme sommaire, sans qu’aucune des scènes particulières qui les composent soit développée. Il semble que nous ayons là sous les yeux un spécimen de la manière narrative qui devait être en usage avant l’épopée homérique et qui probablement se maintint assez longtemps encore à côté d’elle. L’épisode du Cyclope (KuxXa)7:6ia) commence à cet égard comme les précédents, mais presque aussitôt la forme change: le récit s’élargit et s’anime, et au lieu d’une simple esquisse nous voyons se dérouler une admirable narration, à la fois descriptive et dramatique, qui met en scène des personnages pleins de vie. D’une part, la férocité du Cyclope, sa nature bestiale, et, parmi ses instincts sauvages, un attachement touchant pour les animaux qui partagent sa misérable vie; de l’autre, les émotions des compagnons d’Ulysse, leurs angoisses, le courage du héros, sa ruse, son sang-froid, et à la fin cette imprudence héroïque qui lui fait braver un danger inutile pour insulter son ennemi. Malgré cette différence profonde entre les parties du neuvième livre, il est difficile de croire qu’il ne soit pas tout entier du même poète et qu’il n’ait pas été conçu en une seule fois; mais ce poète, selon toute vraisemblance, travaillait sur des récits poétiques antérieurs qui lui servaient en quelque sorte de matière *, et tandis qu’au début il s’y atta-

1. Kayser {Abhandlungcn^ p. 34) a remarque fort justement que, dans tous ces récils d’Ulysse, Athéné ne joue nullement le rôle de protectrice active qu’elle a dans le reste du poème. C’est là une différence très frappante en effet, et il est bien difficile d’en rendre compte autrement que par la diversité d’origine.