Page:Croiset - Histoire de la littérature grecque, t1.djvu/528

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amertumes, toutes les monotonies des jours qui succèdent aux jours, des années qui s’amassent et qui jettent leur ombre sur toute chose humaine. Conception virile, qui dénote chez son auteur une sorte de courage profond et sans éclat, une énergie morale durement exercée et longuement mûrie. Tandis qu’ailleurs la poésie se détourne du réel pour chercher dans la liberté charmante de l’idéal l’oubli des ennuis et des inquiétudes, l’exaltation joyeuse des sentiments, et, pour ainsi dire, le déploiement brillant de toutes les facultés humaines, voici un poète, qui, pouvant, lui aussi, donner l’essor à son imagination et se laisser aller aux rêves agréables ou dramatiques de la fable, préfère s’attacher au sol. Bien loin de dédaigner les petites choses, les préceptes arides, les descriptions techniques, il les aime au contraire, pour elles-mêmes d’abord, parce qu’elles sont la réalité quotidienne, et pour leur utilité ensuite, parce qu’elles peuvent servir à mieux faire. Le réalisme de sa poésie tient donc au fond de son caractère. Ce n’est pas chez lui doctrine d’école ; c’est le reflet même de toute sa manière d’être, de ses plus profondes habitudes de pensée et de sentiment. Et ainsi s’explique ce qu’il y a de plus curieux peut-être dans le caractère moral de sa poésie : Hésiode est, comme le paysan, volontiers mécontent, grondeur, accusant les hommes et les choses, grossissant ses désappointements et diminuant ses profits, quand il en parle, mais avec cela incapable de découragement; luttant avec une patience invincible contre les difficultés, jouissant des rares instants de repos qui détendent ses membres et son ame, il est au fond intimement satisfait de tout ce qu’il obtient par son savoir-faire, son énergie et sa prudence. Ce qui le caractérise éminemment, c’est la façon dont