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UNITÉ PRIMITIVE DU POÈME 497

de son frère ; il en est à la fois attristé et irrité; il le plaint et il se fâche contre lui, il se sent menacé lui- même et il se défend; voilà des impressions réelles, profondes, qui s'amassent jour par jour, qui sus- citent mille idées et mille sentiments, qui les assem- blent au fond de son âme, comme un orage toujours grossissant qui finit par éclater. L'explosion finale, c'est son poème, du moins sous sa forme première, une invective mêlée de leçons, une exhortation tantôt injurieuse et tantôt solennelle. Tout ce qui sert sa passion sert aussi son idée, et par conséquent lui est bon, sentences, apostrophes, courts développe- ments, allégories, mythes, apologues, ce qu'il a entendu dire et ce qu'il invente, la sagesse des an- cêtres, les oracles des dieux et l'expression véhé- mente de tout ce qui s'agite en lui-même. Quel arrangement voudrait-on qu'il eut mis dans tout cela? L'ordre de ses idées se fait au fur et à mesure qu'elles naissent, et il se fait comme il peut. A coup sûr, ce n'est pas celui d'une démonstration méthodique; les incidents y sont pour beaucoup : ceux de la passion, ceux de l'imagination, et parfois tout simplement ceux du langage. Un critique de nos jours entend, pour ainsi dire, sonner le même mot important dans plu- sieurs groupes de vers consécutifs et il croit sentir là l'artifice d'un arrangeur; mais qui nous prouve que ces rapprochements de mots n'étaient pas tout justement une des choses qui plaisaient le plus au poète lui-même et à son public? On suppose que cela a été fait plus tard pour les enfants qui ap- prenaient les vers d'Hésiode par cœur; est-ce qu'Hésiode lui-même et ses auditeurs n'étaient pas, eux aussi, des enfants à bien des égards? et, à défaut d'une liaison profonde et refléchie dont ils étaient incapables, est-ce que cette liaison accidentelle, fan-

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