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LA RACE GRECQUE ET SON GÉNIE

celle du cultivateur. Le laboureur béotien ou locrien, tel que nous le voyons dans les Travaux d’Hésiode, celui qui travaille durement dans le pays d’Ascra « froid en hiver et brûlant en été », celui-là même a des impressions d’une vivacité surprenante, et, pour ainsi dire, mille visions si légères et si transparentes que la gaieté ou la tristesse des choses se révèlent au travers. Le cri des oiseaux de passage, l’appel strident de la cigale, la floraison du chardon, toutes ces menues choses familières le touchent comme les propos à la fois mystérieux et précis d’autant d’âmes obscures voisines de la sienne. Voilà pourquoi tous les Grecs partout ont peuplé le monde de dieux, qui ne sont pas des noms ni des puissances inconnues, mais des êtres vivants, presque familiers. En transformant ainsi la nature, ils lui ont seulement rendu ce qu’elle leur donnait. La vie du dehors était venue à eux pleine d’images et de sensations, elle sortait d’eux et elle retournait aux choses pleines de dieux.

Et si le spectacle du monde les a ainsi émus, enchantés et instruits, celui de l’homme ne leur a pas été moins profitable. Le Grec est éminemment sociable. Il recherche joyeusement son semblable, parce qu’il a beaucoup à lui donner et beaucoup à recevoir de lui, et que cet échange est pour lui un des plaisirs les plus vifs. Hésiode, qu’on aime à citer comme le plus ancien témoin de la vie populaire, recommande au paysan laborieux de passer devant la forge et la lesché sans s’y arrêter. C’est là que l’on cause longuement en hiver, et il sait combien la tentation d’entrer est forte. Ce ne sont pas les séductions grossières, le vin, la débauche, qu’il craint pour son laboureur ; ce sont les séductions qu’on pourrait appeler délicates, celles de l’esprit plus que