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RÉCITS ET DESCRIPTIONS MYTHIQUES 513

vation naturelle d'idées par laquelle une œuvre d'art mérite d'être appelée grande :

« Non, il n'est pas vrai qu'une seule Eris soit née à la lu- mière du jour: deux sœurs du même nom errent par le monde. L'une doit être louée de tout homme de sens, l'autre est di^ne de blâme; opposées en tout, elles tendent à des fins contraires. Ce qui plaît à Tune, c'est de fomenter la guerre funeste et la discorde en s'acharnant au mal ; aucun des mortels ne l'aime, mais, malgré eux, par la volonté des Immortels, il faut bien qu'ils lui rendent honneur, à l'odieuse Eris. L'autre est née la première de la Nuit érébienne ; et le lils de Cronos, dieu des hautes cimes, habitant des demeures éthérées, Ta établie sur la terre qui supporte toute chose, au milieu des hommes, pour qu'elle leur fût bienfaisante. C'est elle qui, touchant le pares- seux même, l'éveille pour le travail ; et il arrive, grâce à elle, qu'un homme qui ne travaillait pas, venant à jeter les yeux sur un riche, soudain se met à labourer et à planter, pour ramener le bien-être dans sa maison. Le voisin rivalise avec son voisin ardent à s'enrichir. Voilà TEris qui fait du bien aux hommes' ».

On sent assez en lisant ce morceau et d'autres semblables que cette façon allégorique de traduire les idées abstraites n'a pour Hésiode rien d'arti- ficiel. Sans doute, ce n'est pas lui qui l'a créée; elle devait être commune avant lui et autour de lui ; elle caractérise un état d'esprit alors général et marque un âge de la pensée. Mais ce qui est per- sonnel à Hésiode, c'est la vivacité d'imagination et de sentiment avec laquelle il conçoit ces êtres allé- goriques. Ces deux Eris ont un rôle dramatique et des passions; on les voit se disputer le monde; quand l'allégorie est ainsi vivante, elle cesse d'être allégorie. Si ces êtres fictifs représentent des idées, ils sont du moins tout autre chose que ces idées revêtues d'une forme et d'un nom : il y a de plus

1. Travaux, 11-24.

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