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LA RACE GRECQUE ET SON GÉNIE

tant d’honneur à la connaissance. Dans la poésie même, cette disposition d’esprit se révèle dès la plus haute antiquité. C’était un des charmes de l’Odyssée pour ses premiers auditeurs que ces descriptions qui découvraient à leurs esprits curieux tant de choses lointaines et inconnues. Les deux grands poèmes primitifs de la Grèce sont en un sens deux révélations : l’Iliade fait apparaître le fond de la nature humaine, et l’Odyssée laisse apercevoir l’immensité du monde.

À ces qualités supérieures s’attachaient, il est vrai, des défauts graves aussi bien au point de vue littéraire qu’au point de vue moral. La facilité à tout comprendre et à se prêter à tout est un privilège parfois dangereux. On connaît le précepte de Théognis[1] : « Sache faire comme le poulpe, qui se rend semblable d’aspect à la pierre où il s’attache ; tantôt suis tel exemple, et tantôt change de couleur ; l’habileté vaut mieux que la raideur inflexible (κρέσσων τοι σοφίη γίγνεται ἀτροπίης). » Cette pensée se trouvait déjà dans un ancien poème, épique ou didactique, où le héros Amphiaraos disait à son fils Amphiloque, au moment de se séparer de lui : « Amphiloque, mon enfant, inspire-toi de l’exemple du poulpe, et sache t’accommoder aux mœurs de ceux vers qui tu viendras ; tantôt sous un aspect, tantôt sous un autre, montre-toi semblable aux hommes parmi lesquels tu habiteras[2]. » À vrai dire, ce conseil n’appartenait en propre à personne : il exprimait une des tendances du caractère national. Le souple et astucieux Ulysse était un des prin-

  1. Théognis, 215-218, éd. Bergk (Poetæ lyrici græci, 4e éd., t. II).
  2. Athénée, VII, 102. Voir le commentaire de Bergk à propos du passage de Théognis qui vient d’être cité.