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INTRODUCTION

particularités déjà décrites. Bien que la tradition y ait une grande force, la liberté individuelle y éclate partout. On voit les mêmes sujets se perpétuer à travers de nombreuses générations de poètes, mais presque jamais l’autorité des prédécesseurs n’asservit complètement les nouveau-venus. S’ils acceptent si aisément les exemples donnés, c’est même tout justement parce que ces exemples ne les gênent en aucune façon. Ils ont une manière à eux de s’en servir, qui n’implique aucune soumission proprement dite. L’usage des sujets anciens et même des formes consacrées est pour eux comme celui du langage : tout le monde s’en sert, sans croire pour cela imiter personne. Surtout, ce qu’on ne rencontre guère dans la littérature grecque, ce sont ces influences prédominantes qui chez presque tous les peuples ont substitué d’une manière plus ou moins durable une vérité morale de convention à la vérité naturelle. Le Romain a généralement une certaine dignité sénatoriale et consulaire qu’il porte dans tout ce qu’il écrit ; il se fait un rôle à la hauteur de sa situation dans le monde, et il n’exprime que les sentiments qui s’y accommodent. On pourrait écrire en tête d’une histoire de la littérature latine :

Tu regere imperio populos, Romane, memento.

Dans nos littératures modernes, sans exception, le même fait s’est reproduit. Le moyen âge est mystique, chevaleresque et scolastique. Le xvie siècle est érudit et parfois pédant. Le xviie, soit en France, soit en Angleterre, soit en Espagne, subit la mode de la galanterie raffinée, du bel esprit, et souvent celle du point d’honneur castillan. Les plus grands génies eux-mêmes, les Shakespeare, les Calderon, les Corneille sont plus ou moins asservis à ces con-