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LA LANGUE GRECQUE

dans l’avantage même. L’emploi d’un tel procédé est difficile ; il exige de l’esprit trop d’attention, trop de suite, trop de régularité ; il crée des formes trop voisines les unes des autres, entre lesquelles le discernement exact ne peut être fait dans l’usage que par des intelligences ou très fines ou très patientes. Voilà pourquoi les peuples chez qui l’intelligence est plus solide que fine, ou chez lesquels la préoccupation pratique prédomine ordinairement sur le sens de l’art, ont en général fort peu usé de ce procédé ou l’ont abandonné de plus en plus. À ce point de vue, la langue grecque représente une sorte de juste milieu fort remarquable. Elle mélange en effet, dans ses procédés d’élocution, la synthèse et l’analyse avec une liberté et une grâce tout à fait particulières. Elle doit aux procédés de l’une cette régularité, cette richesse de formes, cette beauté d’ordonnance et de symétrie, qu’aucune autre langue classique ne possède au même degré. Mais en même temps, elle emprunte à l’autre une vivacité, une clarté et aussi une aisance qui ne sont pas moins remarquables. Elle est ainsi également appropriée à la prose et à la poésie, aux discussions et aux descriptions, aux besoins du langage courant et à ceux de l’art oratoire. Et pour en revenir au point particulier que nous traitons en ce moment, nulle part cet heureux tempérament ne se révèle mieux que dans la série des formes verbales. La conjugaison grecque a autant de voix qu’il y a de manières réellement distinctes d’envisager le rôle du sujet, autant de modes qu’il y a de façons essentielles pour l’esprit de concevoir une action, autant de temps qu’il y a de grandes divisions possibles dans la durée. Mais dans l’usage, les Grecs, sans s’asservir à une régularité gênante, ont laissé tomber ce qui était sura-