Page:Croiset - Histoire de la littérature grecque, t1.djvu/83

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
33
LA LANGUE GRECQUE

ment indirect du verbe nuire, nous n’osons pas dire je suis nui par quelqu’un. Il y aurait là un manque de symétrie qui nous paraîtrait barbare. Les Latins nous ressemblaient à cet égard, ou nous leur ressemblons. Les Grecs, par respect pour la logique, ont, il est vrai, la même règle ; mais, avec une liberté qui a bien aussi sa raison, ils l’éludent souvent sans scrupule, surtout lorsqu’ils peuvent obtenir ainsi une fine et ingénieuse antithèse[1].

Les règles de subordination et de corrélation sont à peu près les mêmes en grec et en latin. Dans les deux langues, on arrive par des moyens simples, à l’aide des modes et des temps combinés avec l’usage des conjonctions, à marquer très nettement et très finement le rapport de deux ou de plusieurs jugements que l’on veut rattacher les uns aux autres. Mais outre l’avantage que le grec tire de la richesse de sa conjugaison, il a encore ici celui d’une logique moins absolue et d’une plus grande élégance de procédés[2]. Il est curieux de voir avec quelle facilité naturelle il rompt au besoin le rapport grammatical des propositions, pour donner à l’une d’elles plus de vivacité. Cela est extrêmement sensible dans les interrogations indirectes. Le latin, conformément à la logique, les traite invariablement comme subor-

  1. Xénoph., Banquet, VIII, 2 : Νικήρατοις ἐρῶν τῆς γυναικὸς ἀντερᾶται. — Isocr., III, 57 : Ἤν γὰρ καλῶς ἄρχεσθαι μάθωσι, πολλῶν ἄρχειν δυνήσονται. — Xénoph., Banquet, IV, 31 : Οὐκέτι ἀπειλῶμαι, ἀλλ’ ἤδη ἀπειλῶ ἄλλοις.
  2. Par exemple, la simple particule ἄν ou κε peut changer une proposition relative en proposition intentionnelle : dans les vers suivants (Iliad., XXIV, 75). ὥς seul signifierait afin que, tandis que ὥς κεν signifie comment, ce qui modifie le ton de la phrase :

    ὄφρα τί οἱ εἴπω πυκινὸν ἔπος, ὥς κεν Ἀχιλλεύς
    δώρων ἐκ Πριάμοιο λάχῃ
    .